Thomas Cantaloube est journaliste, né en 1971. Son premier roman aurait pu avoir pour cadre les USA où il a longtemps travaillé, un autre coin du globe tellement les pays où il a effectué des reportages sont nombreux, il a tout simplement choisi la France mais une époque peu explorée, les années 1959, 1960, 1961.
En ce début d'année 2019, Thomas Cantaloube gratifie les amateurs d'un exceptionnel roman noir historique. Les Trente Glorieuses cachent des années parmi les plus sombres de la Cinquième République. Il nous en fait le récit.
Requiem pour une République : ce roman raconte le destin de trois hommes que tout oppose mais qui vont se croiser et même s'unir pour tenter de faire éclater la vérité dans une affaire politico-criminelle. Luc Blanchard est inspecteur débutant à la crim' du 36, quai des Orfèvres, ses premières enquêtes sont des échecs, il n'hésite pas à recourir à la violence, les coups pleuvent mais les suspects n'avouent rien. Antoine Carrega est corse, ancien résistant, sa vie apparente bien rangée cache des liens avec François Marcantoni ou le convoyage clandestin d'anisette entre Marseille et Paris, certaines bouteilles contiennent de l'héroïne. Sirius Volkstrom est un ancien collabo, peut-être même pire un ancien de la carlingue. Il a ensuite fuit la France pour la guerre d'Indochine où il a perdu un bras ce qui ne l'a pas empêcher par la suite d'accomplir de basses besognes en Algérie.
Chaque chapitre raconte une journée avec un de ces trois hommes comme personnage central. Le 4 octobre 1959, Sirius Volkstrom se renseigne sur l'extrême droite parisienne auprès de Jean-Marie Le Pen alors ex-député. Vokstrom rejoint en février 1961 les rangs de l'OAS des partisans prêts à combattre pour l'Algérie française. Il avait auparavant opéré au sein du SAC de Pierre Debizet : le Service d'action civique, association officielle pour lutter discrètement contre le FLN, les communistes et plus généralement contre toute forme d'opposition au Général de Gaule. Carrega a également rejoint le SAC dés sa création en janvier 1960 : il participe au service d'ordre des meetings politiques de Michel Debré mais sa carte tricolore lui sert aussi de couverture pour ses trafics. Luc Blanchard s'est vu confier le 24 septembre 1959 l'enquête sur l'assassinat de l'avocat algérien Bentoui et de sa famille, une exécution de sang froid. C'est le Préfet de police de Paris, Maurice Papon, en personne qui lui confit ce dossier délicat qui sent la poudre. L'épuration à la Libération a épargné les élites.
Une fiction plus vraie que nature ! L'Histoire est au tournant de chaque page avec des personnalités connues bien dans leur rôle. Il y a une enquête solide, avec ses incertitudes, ses périodes où il ne se passe rien, les hasards qui brusquement la relancent, des fausses pistes, des filatures, des planques. Luc Blanchard débute dans le métier. Sera-t-il un éternel perdant ? Pas du tout, il se pose les bonnes questions, il veut aller au bout même s'il a compris que désormais des salauds dirigent la France. Volkstrom le mercenaire, Carrega le truand, vont l'aider. Leurs relations comme leurs attitudes restent ambigües. Le trio veut aller au bout de l'affaire Bentoui, peu à peu l'enquête devient une quête de vengeance.
Ce roman rappelle ce qu'a été cette période, une tragédie pour des algériens déchirés au sens propre et figuré, ça ratonnait dur à l'époque, en toute impunité. Parfois les mitraillettes se faisaient entendre, la voiture de François Mitterrand en fit les frais. La presse était muselée. Les attentats étaient vite oubliés. Des coupables étaient fabriqués avant d'être suicidés. Mais peu importe, la France entre dans l'élite des puissances détenant l'arme atomique.
Quel roman ! Quelle réussite ! Chaque page est une surprise. Tout foisonne, les sentiments, l'action, l'Histoire. Je le dis rarement, énorme coup de coeur !
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