La Troisième République a été proclamée au lendemain de la défaite dans la guerre de 1870. Ce polar historique de Gwenaël Bulteau dresse un tableau de la situation en France après presque trente ans d'un régime parlementaire qui s'enorgueillissait de protéger les faibles.
Des faibles il n'en manque pas dans ce roman, comme à l'aube du 1er janvier 1898 où dans un froid glacial un misérable chiffonnier découvre le cadavre décapité d'un petit garçon en fouillant la décharge de la Croix-Rousse à Lyon. Cet enfant porte des traces d'atteinte à la pudeur. Mais à l'époque "les forces de police ne font pas grand cas de la mort d'un enfant. Deux ou trois jours d'investigation et on passe à autre chose. Les priorités sont claires : l'ordre social, la tranquillité publique, la sécurité des commerces".
Mais c'était sans compter sur la ténacité d'un groupe de policiers ( à l'époque en uniforme ) et dont l'intérêt pour cette affaire va s'en trouver renforcé suite à l'assassinat de l'un d'eux. Le commissaire Jules Soubielle a une vision novatrice des procédures de l'enquête policière. Il est secondé par les lieutenants Caron, Grimbert et Silent et le brigadier chef Millard. Tous de bons flics mais aussi des êtres humains avec leurs travers et leurs problèmes personnels.
Les investigations de la police permettent d'explorer la société de l'époque. La République des faibles est décrite sans complaisance avec des petits commerçants arrivistes engoncés dans le rigorisme sans pour autant renier les violences conjugales ni les avortements clandestins. Le racisme depuis l'affaire Dreyfus ou l'épisode Boulanger gangrène même la police et des ligues ouvertement antisémites et "antiboches" sont engagées en politique. Le "J'accuse ... !" de Zola est daté du 13 janvier 1898. Il y a aussi les anciens combattants de 1870 traumatisés parfois jusqu'à la folie. La pauvreté extrême est partout présente, l'industrie naissante ne se soucie pas des questions sociales, les luttes syndicales sont réprimées dans le sang.
Gwenaël Bulteau mêle habilement et efficacement l'Histoire et une enquête fictive. L'ensemble est très crédible, instructif et ne manque pas de rebondissements et de suspense. La reconstitution de la ville de Lyon et de ses environs est rigoureuse avec ses quartiers aux noms évocateurs, ses vieux métiers et ses rues d'une saleté repoussante. Il est aussi beaucoup question d'enfants, d'enfants à naître, d'enfants maltraités, d'enfants qui ont faim, d'enfants prostitués, d'enfants de la rue débrouillards et d'infanticides.
Gwenaël Bulteau : La République des faibles. Parution le 4 février 2021, Éditions La Manufacture de livres. ISBN 978-2-35887-719-0 . Réédition en poche, Éditions 10 / 18 le 3 mars 2022. ISBN 9782264079596 .
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