Ce roman policier historique se déroule en URSS, entre l’été 1929 et mi-1930, principalement à Leningrad et dans une moindre mesure à Moscou. A cette époque, l’URSS a abandonné la Nouvelle Politique Économique, dose d’initiative privée dans l’économie, et s’enfonce de nouveau dans une période de souffrances pour le peuple soviétique qui a faim. Staline commence à imposer son pouvoir qui s’il n’est pas encore absolu, se traduit par le traque d’opposants réels ou non.
C’est dans ce contexte qu’entre en scène le jeune inspecteur en chef Vassili Zaïtsev qui dirige le 2ème brigade de la police criminelle de Léningrad. La police criminelle est distincte de la Guépéou, la police politique, dont l'ombre plane en permanence sur tous les citoyens et fonctionnaires. Elle traque continuellement les traîtres et les ennemis de la classe prolétarienne pour les traduire devant des commissions d’épuration toutes puissantes. Au début du roman, Zaïtsev échappe de justesse à une épuration alors qu'il consacre sa vie exclusivement à la lutte contre le crime ce qui lui vaut une réputation de héros. Mais il sait que les soupçons le concernant demeurent.
Ioulia Iakovleva a pris le parti de consacrer une large part de son roman à l’Histoire, pas la grande Histoire mais au quotidien du peuple soviétique, leur existence misérable et insalubre, les attentes interminables pour quelques vivres tout juste mangeables, l’alcool pour oublier et les vols pour combler. Kirov, le maire de Léningrad est le seul grand personnage historique mis en scène. Normal qu’il soit alerté par une série de meurtres avec de mystérieuses mises en scène. La tentation de la police ( contre l’avis de Zaïtsev ) est grande de classer ces affaires sans suite mais lorsque quatre cadavres sont découverts sur l’île Elaguine où Kirov a le projet de créer un immense parc de la culture et des loisirs des travailleurs, le maire n’hésite pas à sortir Zaïtsev des griffes de la Guépéou. Encore une fois le fin limier Zaïtsev a été sauvé par sa réputation.
Il n’est pas facile d’enquêter en URSS à cette époque. Le groupe d’enquête que dirige Zaïtsev a tout pour être efficace avec un ex-policier du tsar à la solide réputation, un médecin légiste, un photographe et même As de Trèfle un chien au flair redoutable. Avec l’appui de Kirov, ils ont les moyens de travailler : deux voitures Ford modernes leur sont confiées. Mais tout le monde soupçonne tout le monde d’être un indic de la Guépéou. Zaïtsev est soupçonné par sa propre équipe. Lui-même soupçonne que Nefiodov arrivé en renfort, ne soit en réalité un agent de la Guépéou. Pas étonnant que l’efficacité de la police criminelle soit limitée d’autant plus que pour aller vite il est tentant de désigner un coupable idéal parmi les ennemis du peuple. Cela ne convient pas à Zaîtsev qui enquête seul, il progresse cahin-caha, les mises en scène des crimes semblent constituer un jeu de piste qui le conduit vers le musée de l’Hermitage. Mon intérêt pour l’enquête n’a été que périodiquement aiguisé. Heureusement le quotidien de la vie des soviétiques est très instructif, habilement mis en scène par l’auteure à travers des personnages secondaires bien choisis.
Au final, les voyages en train ou en tramway, la vie dans les appartements communautaires ( dans les anciens immeubles, chaque pièce est affectée à une famille ou un citoyen et la vie s’organise autour d’une cuisine collective ) sont très instructifs et ne manquent pas de surprendre, presque plus que les rebondissements d’une enquête sans cesse entravée dès qu’elle s’approche de dirigeants du Parti. Il y a aussi les musées et spectacles de ballets si nombreux à Léningrad et accessibles à tous, la culture prolétarienne est une obligation pour les citoyens. Des membres du Komsomol veillent à ce que la culture gagne tous les travailleurs. Saint-Pétersbourg devenue Léningrad est un personnage à part entière ( les russes la surnomme Piter, faire table rase du passé n’est pas si simple) . Avenues et place ont été rebaptisées par le pouvoir bolchévik, la prestigieuse perspective Nevski est désormais dite du 25 juillet. Ioulia Iakovleva réussit habilement à partager son amour pour cette ville d’art.
Il faut bien conclure une enquête. La perspicacité et la ténacité de Zaïtsev emmènent le lecteur vers un final bien maîtrisé où se mêlent nostalgie d’un régime disparu et réalité historique avec la dictature stalinienne qui s’impose implacablement au peuple soviétique.
L’éditeur Actes Sud indique que Ioulia Iakovleva « est autrice, critique de ballet et dramaturge russe. Elle vit à Oslo où elle écrit des livres pour enfants qui traitent de l’histoire soviétique ainsi que des romans policiers ancrés dans un contexte socioculturel et politique fort ».
Ioulia IAKOVLEVA – Et soudain le chasseur sortit du bois . Publié en russe en 2017, traduction de Mireille Broudeur-Kogan pour les Éditions Actes Sud, collection Actes noirs, parution en avril 2023. ISBN 978-2-330-16925-1 .
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