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6 décembre 2023 3 06 /12 /décembre /2023 14:07
Vincent ÉJARQUE  -  Un sang d'encre

Dès les premières pages, j’ai adoré l’ambiance créée par Vincent Ejarque. Il n’y a pas de dates précises seulement quelques indices, des meubles en formica, la série « Dallas », une «Ami 8 ». Le journal L’Équipe est daté du 19 mars, le rugbyman Rives va jouer un match du Tournoi. Cadalen est un journaliste à la dérive, il a été licencié lors d’un changement de direction consécutif à l’élection de Mitterrand. Cadalen est désormais seul face aux évènements et avec des piges pour s’en sortir financièrement. Rien ne va plus pour Cadalen, il retourne dans sa région natale pour assister aux obsèques d’un ami. De leur jeunesse, il ne reste qu’une photo d’un groupe de combat en Kabylie. La guerre a effacée les autres souvenirs.

Une nouvelle ambiance prend forme avec ce coin de France que Cadalen connaît bien et dessiné avec poésie par l’auteur « Entre les fermes isolées et les vergers tirés au cordeau, les hommes prenaient un soin infini à peigner la campagne, de labours en semis ». La région se dessine lentement et habilement à travers le regard de Cadalen. Le lecteur a des indices, de plus en plus précis tout au long du roman, le Ségala, la Découverte, le Tarn mais la ville n’est jamais nommée. Je l’ai identifiée, je la connais.

Le journaliste Cadalen reprend du service dans un journal local « Le courrier du Midi » et le lecteur se retrouve dans une nouvelle ambiance, une totale découverte pour moi. Il flotte un air de nostalgie lorsque Vincent Ejarque parle de la presse écrite, de ses locaux et des métiers de l’époque. Il y a aussi les hommes et les femmes d’une trempe aujourd’hui rare sinon disparue. Le rédac-chef Malvy ( un nom sans doute pas choisi au hasard ) lui propose de couvrir ce qui n’est encore qu’un fait divers local : quatre membres d’une même famille tués, y compris deux enfants. Un carnage. Le père, Jean-Jacques Sabatier, reste introuvable et fait un suspect idéal.

Dans cette ambiance angoissante, l’enquêteur est un journaliste, pas un flic tenu par une institution. C’est mieux pour fouiller, un journaliste est plus libre, plus attentif au contexte. Pour un lecteur, une énigme garantit des instants plaisirs. L’aspect polar se complique lorsque le cadavre de Sabatier est retrouvé. Une mort qui ressemble à une exécution. Le journaliste Cadalen est curieux et perspicace. Et puis les gens se confient plus à un journaliste qu’à un flic. Indirectement l’auteur dresse le portrait d’une époque pas si lointaine et rappelle le contexte social et politique du début des années 1980. Il y a des oublis réparés et des révélations surprenantes. C’est l’aspect Histoire, le lecteur est dans un roman noir passionnant. C’était le temps de la main d’œuvre non qualifiée et bon marché ramenée d’Afrique du Nord pour travailler dans l’industrie automobile, les grèves encadrées par un service d’ordre musclé qui servait indifféremment patrons et politiques pourvu qu’ils soient peu regardant. Il y avait aussi des harkis dans des camps. Les élus et ambitieux de la politique de tout bord profitent de la moindre opportunité pour convaincre les électeurs. Un arabe coupable idéal du meurtre de Sabatier et l’extrême droite monte au front. Et puis la politique c’est aussi l’opportunité de se faire de l’argent, parfois des sommes considérables. Pendant ce temps la France perd sa souveraineté économique, c’est Anne la logeuse de Cadalen qui le dit, elle s’y connait avec sa licence d’économie.

Cadalen fouille, cherche, questionne. Il est bien aidé par Armand, un photographe comme sans doute il n’y en a plus, «pas seulement un as de la photo, un as tout court ». Cadalen le journaliste aurait pu s’opposer au capitaine de Gendarmerie Masclet chargé de l’enquête de la tuerie de la famille Sabatier. Ils vont collaborer, toujours la fraternité d’armes et des souvenirs qui hantent leur vie. Le lien avec « Les spectres d’Alger » se fait ( voir ICI ) comme dans une frise historique.  Du premier roman de Vincent Ejarque, le lecteur retrouve le lieutenant Térien et découvre ce que sont devenus les clandestins de l’OAS. En relisant la fin des « Spectres d’Alger », j’ai noté deux phrases qui relient la Guerre d’Algérie aux recherches de Cadalen «Il redémarra la Simca, décidé à mettre le cap sur Oran, où les navires à destination de l’Espagne étaient plus nombreux et moins chargés. Il rejoindrait Carthagène, idéalement, Alicante sinon »  et   « Il y avait parmi eux des criminels, des séditieux, d’horribles brigands et, peut-être, en cherchant bien, quelques idéalistes ». L’expérience de la clandestinité aide à se fondre dans tout ce qui est illégalité, partout et tout le temps, comme immédiatement après la Seconde Guerre mondiale.

Ce deuxième roman de Vincent Ejarque est un modèle de roman noir, instructif pour comprendre le présent comme l’Histoire sait si bien le faire, passionnant et angoissant comme un polar . Un récit exceptionnel ! Une lecture comme celle-ci ne s’oublie pas, elle marque l’esprit en relatant une réalité violente, parfois sanglante. Les personnages fictifs ajoutent de l’émotion, on les aime ou on les déteste. A cela il convient d’ajouter une parfaite reconstitution du début des années 1980 avec tous ces détails qui font vrais. Un objet, un évènement d’apparence anodin et le charme opère, l’ambiance m’a transporté dans une époque bercée par l’insouciance de ma jeunesse mais finalement beaucoup plus sombre.

Un roman noir à ne pas rater, facile avec une si belle couverture.

Vincent EJARQUE – Un sang d’encre . Parution le 17 octobre 2023, Ramsay Éditions. ISBN 9782812204579 .

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4 décembre 2023 1 04 /12 /décembre /2023 10:17
Pascal DESSAINT  -  1886 . L'affaire Jules Watrin

La victoire des Républicains aux élections de 1879 a fait naître l’espoir pour les ouvriers. Le monde minier entre en lutte. Janvier 1886, les mineurs de Dacazeville sont en grève, les salaires ont été baissés. La colère est immense, aucun dialogue pour l’apaiser. Les mineurs marchent sur Decazeville, occupent les bureaux de la Compagnie des Houillères & Fonderies de l’Aveyron. Le sous-directeur Jules Watrin est molesté puis frappé avant d’être défenestré. Le 26 janvier 1886 Jules Watrin a été tué.

C’est le point de départ du récit de Pascal Dessaint. Il a exploité des documents d’époque, notamment L’Illustration dont est extrait l'image de la couverture de son roman. Il a accompli un travail d’historien. Jour après jour il détaille les conséquences de la violence qui a tué Watrin. A l’origine il y avait une grève, elle se termine dans la confusion. De vagues promesses sont faites, le gouvernement est décidé à faire pression sur la Compagnie mais tarde à agir. Jules Watrin a été tué, il y a des arrestations. Des troupes sont envoyées à Decazeville, l’armée veille au calme. Le versement de la paie de février relance la lutte, le 25 février une nouvelle grève commence.

Pascal Dessaint ne laisse pas de place au doute, il est avec les mineurs. Mais il explique pourquoi. Il approfondit pour savoir comment on en est arrivé là. Il appuie son propos d’extraits de discours, il cite des courriers, des dépêches télégraphiques, des comptes-rendus. C’est cela raconter l’Histoire. A l’époque les grévistes ont le soutien de Louise Michel. Celui de Clémenceau et Jaurès est beaucoup plus nuancé. Dans ce débat, j’ai découvert le député Basly qui soutient les revendications des mineurs en insistant sur le mépris dont ils font l’objet de la part de la Compagnie qui se réfugie derrière la crise, l’absence de versements de dividendes mais « elle se serait ruinée pour le bien être des ouvriers » déclare Gustave Petitjean, administrateur délégué. La presse se fait l’écho des débats, l’auteur cite Le Cri du peuple  et la réponse du Gaulois. L’Aveyron républicain publie Germinal en feuilleton. La censure sévit, le gouvernement menace mais la Compagnie reste inflexible. A Decazeville, c’est la grève générale. Plus de charbon, les hauts-fourneaux sont à l’arrêt. Deux milles soldats font face à mille cinq cents grévistes.

Pour relancer son récit historique Pascal Dessaint pose des questions. L’intérêt du lecteur est sans cesse relancé. Les réponses fusent, toujours puisées dans l’actualité de l’époque et toujours référencées par des documents pour exposer des faits. C’est cela raconter l’Histoire. L’auteur a choisi un style journalistique. C’est efficace et instructif.

Ce roman noir et social a un épilogue, la reprise du travail le 14 juin après cent huit jours de grève. Les familles avaient faim. Le lendemain s’ouvre le procès de ceux qui sont accusés d’avoir tué Watrin. Pascal Dessaint entame un nouveau récit, six jours d’audiences. C’est une partie du roman très vivante avec beaucoup de dialogues pour bien faire ressortir l’âpreté des débats. La retranscription de télégrammes annonce le verdict. C’est un récit historique et journalistique. J’ai trouvé qu’il manquait un peu d’émotion, peut-être un personnage fictif qui aurait aimé et détesté, qui se serait trompé, aurait douté avant de repartir de l’avant. Ceci étant j’ai aimé ce roman fait de révélations et qui retranscrit très bien le contexte social et politique de la fin du XIXème siècle et où l’auteur ne manque pas de trouver quelques similitudes avec le présent. Je ne résiste pas à l’envi de rappeler le portrait du député Basly, personnalité humaniste et visionnaire en ce qui concerne l’action syndicale.

Pascal DESSAINT – 1886 L’affaire Jules Watrin . Parution mai 2023, Éditions Payot & Rivages, collection Littérature Rivages . ISBN 978-2-7436-5911-0 .

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20 novembre 2023 1 20 /11 /novembre /2023 11:18
Paul COLIZE - Devant Dieu et les hommes

Paul Colize entraine ses lecteurs dans un passé pas si lointain, en Belgique son pays natal. Le 8 août 1956 à Marcinelle tout près de Charleroi, la plus dramatique catastrophe minière de Belgique causa la mort de 262 mineurs dans les galeries du charbonnage du Bois du Cazier dont certaines ont été creusées à plus de mille mètres de profondeur. L’auteur ajoute à cette tragique réalité un soupçon de fiction, la mort suspecte du porion Gustave Fonck. Il semble avoir été assommé et étouffé dans une galerie pendant la catastrophe et tout accuse deux mineurs de fond. Le procès se tient à la fin de l’année 1958, Paul Colize a choisi une narratrice pour faire le récit du procès des deux suspects dans un roman aussi noir que le charbon et les conditions de travail et de vie des mineurs de l’époque.

Katarzyna d’origine polonaise est une jeune employée au quotidien Le Soir cantonnée aux vétilles. Le journalisme est le monde réservé des hommes et lorsque le rédacteur en chef propose à Katarzyna de couvrir le procès de Marcinelle, elle n’hésite pas même si elle devine la difficulté de la tâche et sent le piège qui est peut-être tendu à la jeune femme.

Paul Colize est un remarquable conteur d’histoires, le regard de Katarzyna est fait de lucidité et d’émotions. Auditions, réquisition, plaidoirie, délibération sont là mais rien d’austère et au final il y a du polar dans la procédure judiciaire. Avis techniques, expertise médicale, témoignages, accusations, faits et suppositions se succèdent comme dans une enquête. Et comme dans un polar le charme opère. Katarzyna essaie d’analyser les attitudes, les silences, les réactions du procureur, de l’avocat, du juge et des jurés. Tous des hommes ! Les échanges sont tendus, il y a des accrochages verbaux, de la détresse et de l’espoir, un mobile trop simple, un policier arrogant. Les menteurs créent des fausses pistes, le témoin de dernière minute provoque un rebondissement. Le suspense est de plus en plus présent car Katarzyna d’observatrice devient partie prenante. Elle se révolte lorsqu’elle est confrontée à l’incompréhension. Elle approfondit avec opiniâtreté pour lever des doutes. Elle doit surmonter le découragement provoqué par l’attitude des hommes à son égard.

Le récit des deux accusés se fait dans un français hésitant. Ils sont italiens et à ce titre ils font des coupables idéals. Ce polar judiciaire est aussi un roman noir et social qui dénonce les discriminations subies par la main d’œuvre étrangère corvéable à merci, la xénophobie, les conditions de vie déplorables pour les mineurs et leurs familles. Le personnage de Katarzyna cristallise toutes les atteintes aux droits des femmes. Jugée incapable d’exercer le métier de journaliste, objet de moqueries vulgaires, elle mène un combat non seulement pour que le procès de Marcinelle soit juste et équitable mais aussi pour surmonter tous les traumatismes qu’elle a subi pendant la Seconde Guerre mondiale comme une multitude d’autres femmes.

« Devant Dieu et les hommes » est un grand roman noir, avec un beau titre. Il démontre aussi que des faits historiques restent cruellement d’actualité.

Paul COLIZE  -  Devant Dieu et les hommes. Éditions Hervé Chopin. Parution le 21 septembre 2023, ISBN 9782357207264

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8 novembre 2023 3 08 /11 /novembre /2023 14:25
Jean-Christophe PORTES - Oscar Wagner a disparu

Une nouvelle série imaginée par Jean-Christophe Portes ? Ça m’en a tout l’air. Pour un temps, il quitte la fin du 18ème siècle et le jeune gendarme Victor Dauterive ( voir ICI ) pour emmener ses lecteurs dans une période tout aussi trouble et agitée de l’Histoire de France : Oscar Wagner a disparu en avril 1942. Lizzie voudrait bien savoir ce qu’il est devenu. Pour Mo c’est un secret qu’il n’est pas prêt à dévoiler.

Mo et Lizzie racontent, deux approches pour entrer dans l’Histoire qui se dessine par petites touches. Avec Lizzie, c’est la guerre, celle de l’ombre, l’espionnage. Avec Mo c’est une autre forme de clandestinité, il a choisi l’illégalité pour se faire un max d’argent et les occasions ne manquent pas dans le Paris occupé. Avec ses deux personnages fictifs mais bien intégrés dans le quotidien de l’époque, l’auteur mélange habilement les genres. L’Histoire défile, quelques révélations surprises sur Lizzie et Mo, un peu de polar et d’espionnage et le charme est là pour une lecture addictive, distrayante et instructive.

Tout oppose Mo et Lizzie. Lizzie est anglaise, de son vrai nom d’Élisabeth Beresford, fille de lord Edmond Beresford, deuxième vicomte Rothermere et d’Anastasia Von Battenberg. Des revers de fortune, un mariage malheureux et Lizzie se trouve obligée de travailler comme traductrice et secrétaire particulière dans une entreprise de transports hollandaise collaborant avec les nazis. Recrutée par le MI6, elle est chargée de recueillir des renseignements auprès d’Oscar Wagner le représentant de son employeur à Paris. Mo, c’est le surnom de Maurice Ferrandi, il est aussi appelé Mo les Yeux-Bleus. Mo est Corse, cousin des frères Guérini les caïds du milieu marseillais. Sa vie et sa personnalité réservent bien des surprises au lecteur. Tout oppose Mo et Lizzie, ils se rencontrent, sont séparés. C’est aussi je t’aime moi non plus.

Oscar Wagner a disparu. Il revendait des infos à Lizzie, sa disparition est-elle en lien avec les renseignements inestimables qu’il s’apprêtait à lui transmettre ? Tout le monde recherche Oscar Wagner, l’Abwehr ( le renseignement militaire allemand ) et ses officines françaises. Mo sait ce qu’est devenu Oscar Wagner et il se retrouve traqué, un mélange de guerre des gangs et de Résistance.

Les deux héros de Jean-Christophe Portes vivent des aventures haletantes, pleines de suspense et d’action, sans une minute de répit. Entre avril 1942 et décembre 1944, ils vont croiser des personnages réels et être associés à l’Histoire violente et complexe de la Seconde Guerre mondiale. C’est passionnant, instructif et parfois surprenant. Lafont le parrain de la carlingue, Vichy, la zone libre envahie le 11 novembre 1942, la flotte française encerclée à Toulon. La Résistance, la collaboration avec l’occupant, l’Etoile jaune, le Vel’ d’Hiv, l’espionnage et son lot d’agents doubles, la prison, la torture. Paris connait de  folles soirées festives alors que les parisiens souffrent des privations et de la répression. Lizzie et Mo ne sont pas épargnés durant cette sombre période. La narration de l’auteur est agréable et il confirme tout son talent de conteur d’histoires. Il réussit avec brio la mise en scène de deux narrateurs que tout oppose, une femme et un homme, Mo le truand et Lizzie l’aristocrate devenue espionne.

Il y aura une suite, c’est certain. Jean-Christophe Portes a semé tant d’interrogations et ébauché tant de portraits ( les frères Guérini n’en sont qu’au début de leur célébrité ) que je suis curieux et impatient d’en savoir plus.

Jean-Christophe PORTES  -  Oscar Wagner a disparu . Parution mars 2023 , Éditions Hugo Thriller . ISBN 9782755663570 .

Bibliographie de Jean-Christophe PORTES : voir ICI  

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6 novembre 2023 1 06 /11 /novembre /2023 13:45
Gérard STREIFF  -  Le sosie

C’est la septième enquête de Chloé Bourgeade, détective à l’agence d’enquêtes privées « Sémaphore ». J’ai fait la connaissance de Chloé dans une enquête qui lui avait permis de ressortir de l’oubli les sanglantes répressions policières  d’octobre 1961 à Paris ( voir ICI ). La nouvelle enquête de Chloé va de nouveau entraîner le lecteur dans le passé.

Chloé a été sollicitée par Odile Bercy qui ne se satisfait pas des explications officielles sur la mort de son mari Léo : son décès n’est pas la conséquence d’une chute mais d’un coup portée à la tête. Léo Bercy aurait été assassiné parce qu’il effectuait des recherches sur des évènements survenus dans les années 1970 époque à laquelle il enseignait le russe tout en étant un militant communiste très engagé.  

Il flotte un air de nostalgie dans ce récit. Années 70 … Gérard Streiff n’en finit pas de raviver mes souvenirs musicaux, il parle aussi de « Métal hurlant » et puis c’est en 1971 que le PCF s’installe place du Colonel Fabien. Il semble bien que le siège du PCF était devenu le centre de l’attention de tous les flics de France et de tous les services secrets de la planète. Léo Bercy militait dans les pas de Jean Kanapa alors responsable de la Polex, cellule internationale du PCF. Il se disait même que Jean Kanapa avait été remplacé par un sosie. Y avait-il une taupe parmi ses proches collaborateurs ? Léo Bercy en était persuadé et la découverte cinquante ans après de son identité a-t-elle provoqué son assassinat ?

L’auteur est habile pour mêler passé et présent. Il y a les souvenirs de Racine le coloc de Chloé et mémoire vivante des années 70. Il séjourne sur l’île de Bressant ( à moins que ce ne soit Ouessant, je ne sais plus très bien ), un séjour qui n’est pas de tout repos mais avec le téléphone il reste très présent et efficace pour guider et éclairer Chloé lorsqu’elle questionne les plus proches relations de Léo Bercy désormais placées au rang de suspect et une veuve énigmatique. L’affaire est complexe et Chloé n’est pas aidée par la paranoïa qui avait envahi le contexte politique des années 1970. Mais cela n’empêche pas l’auteur de glisser beaucoup d’humour dans son récit.

Gérard STREIFF – Le sosie . Parution Août 2023 , Éditions La Déviation. ISBN 979-10-96373-54-3 .

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31 juillet 2023 1 31 /07 /juillet /2023 16:00
Dominique FORMA  -  La faute de la traductrice

Après Manaus visité en 1962 ( voir ICI ), le nouveau roman de Dominique Forma emmène le lecteur en Argentine en 1959. Pour Solange Tailleraut, 22 ans, tout a commencé à Paris avec son embauche chez Inter-Ingen une grande entreprise française. C’est l’époque du capitalisme et du béton triomphants du début de la Vème République et Inter-Ingen a acquis une solide réputation en France, en Afrique et en Indochine. Avec Solange, l’entreprise ambitionne de conquérir des marchés en Amérique du Sud en commençant avec l’Argentine et la construction d’un grand barrage près de Córdoba. Solange est traductrice, « Elle pense, parle et rêve simultanément en français, en allemand et en espagnol. Trois fées de trois différents pays s’étaient penchées sur son berceau et avaient veillé à ce qu’elle devienne l’excellence incarnée ».

La première partie de ce roman permet à l’auteur d’insister sur la place de la femme dans un milieu professionnel où elles sont cantonnées à la fonction de secrétaire. L’homme dirige, décide, domine. Même si l’excellence de Solange est d’une importance stratégique au sein de son entreprise, elle n’a pas de bureau et reste reléguée au coin des secrétaires qui ont du mal à l’intégrer du fait de son statut particulier.

Le style de Dominique Forma est un véritable régal, des mots soigneusement choisis que ce soit pour exprimer la colère, la frustration, la domination ou pour décrire des lieux. Mais il n’a pas le choix, son roman est court ( tout juste 200 pages ), il lui faut être précis et concis et il excelle dans cet art. J’ai été enthousiasmé quand en quelques phrases seulement il parle de l’ambiance régnant à Orly et de celle de l’aéroport de LaGuardia à New York.

Solange accompagne Stéphane Gratien, séduisant séducteur et directeur des Opérations Étrangères, à Córdoba en Argentine. C’est une situation très inconfortable pour Solange qui a commis une faute, c’est le titre qui le dit, je ne partage pas cet avis mais c’est sans doute l’époque qui veut ça. Les négociations professionnelles se passent bien, Solange est douée avec la langue espagnole. J’ai adoré lorsque Dominique Forma relate comment elle réorganise ses notes prises lors des conversations de la journée en un rapport complet et précis. D’un point de vue privée, son séjour est un calvaire. Un soir, seule, elle entre dans un restaurant de Córdoba et des gens y parlent allemand. Depuis le prologue, le suspense devenait de plus en plus pesant aidé en cela par la photo de couverture du livre. Il fallait bien que cela arrive. Le récit change alors de ton. Il y a plus d’action, de la violence aussi. Des personnages énigmatiques entrent en scène et l’Histoire rejoint le quotidien argentin de Solange.

Dominique FORMA  -  La faute de la traductrice. Parution le 1er juin 2023, Éditions La Manufacture de livres. ISBN 978-2-3588-7982-8

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24 juillet 2023 1 24 /07 /juillet /2023 15:11
Arturo  PÉREZ - REVERTE  -  Sabotage

Dernier opus de la trilogie Falcó, bien meilleur que le deuxième ( voir ICI ), aussi bon sinon meilleur que le premier ( voir ICI ).

Durant la Guerre civile espagnole, le territoire français n’a pas été épargné par les luttes d’influence et les oppositions entre services secrets. La nouvelle mission qui attend Lorenzo Falcó va se jouer à Paris. Il lui faut discréditer l’influent Léo Bayard qui soutient les Républicains et surtout saboter le travail d’un illustre peintre travaillant sur une toile qui peut nuire aux franquistes lors de sa présentation lors de l’Exposition internationale des Arts et des Techniques de mai 1937.

Falcó devient Ignacio Gazán un riche amateur d’art établi à La Havane. Son réseau est en place pour garder la liaison avec son employeur. Un agent allemand le présente à Bayard et commence alors un jeu de séduction et de manipulation magnifiquement raconté par Arturo Pérez-Reverte. Gazán s’immisce dans la vie de Bayard et de sa charmante épouse pour devenir un ami indispensable puis un incontournable du monde de l’art. Tout se passe dans des établissements de luxe, grands restaurants, cabarets hors de prix, hôtel Meurice et Ritz. La vie nocturne à Paris est sans retenue alors qu’il se dit qu'il est écrit è Berlin aux entrées des lieux de plaisir : « Ni nègres ni juifs » et « Finie la musique de dégénérée ». Falcó est un habitué du luxe mais il est constamment aux aguets car il peut à tout moment croiser une connaissance faite dans une autre légende. Paris pullule d’amis, d’ennemis, de policiers et d’espions. Le hasard n’y a pas de place, à tout moment le mercenaire Falco doit être à même de cerner un danger et d’agir en conséquence. « Sabotage » est un excellent roman d’espionnage, avec une tension permanente, avec du suspense, de l’action et des surprises et juste ce qu’il faut de complexité et une place judicieusement choisie pour l’Histoire.

Et puis il y a le face-à-face tant attendu. Le mercenaire converse avec le Maître Picasso dans son atelier de la rue des Grands-Augustins où trône une grande ébauche qui n’est pas encore le tableau mondialement connu sous le nom de « Guernica ». La fiction rejoint la réalité avec des dialogues plausibles, de manière évidente l’auteur s’est inspiré avec pertinence de la personnalité complexe de Picasso et de l’épisode parisien de sa vie. Un grand moment de lecture !

L’étau se ressert autour de Gazán, il devient une cible mais de qui ? La police française, la Cagoule, le NKVD et le Komintern, l’Allemagne nazie, les Brigades internationales, le MI 6 ? Les funestes conséquences de la clandestinité peuvent venir de partout. Mais Falcó a une mission et une réputation à défendre. Il ira jusqu’au bout, quitte à tuer de sang froid. Place à l’action ! Arturo Pérez-Reverte clôture ce roman et la trilogie Falcó avec une parfaite maîtrise.

Arturo PEREZ-REVERTE – Sabotage . Titre original « Sabotaje » ( Espagne 2018 ) , traduit de l’espagnol par Gabriel Iaculli pour les Éditions du Seuil en octobre 2020, ISBN 9782021427967. Réédition format poche en octobre 2021, Éditions Points, ISBN 9782757891766.

Arturo  PÉREZ - REVERTE  -  Sabotage

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17 juillet 2023 1 17 /07 /juillet /2023 16:18
Jean-Noël BLANC - Polarville. Images de la ville dans le roman policier.

La première édition de cet essai date de 1991. La réédition de mars 2023 bénéficie d’une nouvelle préface rédigée par Dominique Manotti et dont l’interrogation finale interpelle : « La nouveauté fondamentale des années 1980 (…) c’est que le polar est peut-être en train d’abandonner sa propre mythologie et (…) pour la première fois de son histoire, d’admettre que la réalité urbaine n’est pas une monstruosité. Un renouveau du genre serait-il à l’œuvre ? » Le débat est ouvert, des éléments de réponses figurent dans la postface de Jean-Noël Blanc. Je suis tenté de conseiller de lire cette postface à la suite de la préface. Ces deux écrits permettent de mieux cerner le contenu de cet essai et de bien situer ce que l’auteur entend par "images de la ville dans le roman policier". C'est une utile préparation permettant ensuite d’apprécier l’exceptionnel contenu de « Polarville ».

L’essai de Jean-Noël Blanc peut être considéré comme une Histoire du polar avec à l’origine le roman noir américain et deux auteurs incontournables : Raymond Chandler et Dashiell Hammett. Avec eux la Ville est devenue synonyme de crimes, malversations et corruptions avec le détective privé comme justicier chevaleresque. Les temps changent, le privé a été remplacé par un flic désabusé. Le polar est devenu néo-polar et le mal s’est propagé, dans les banlieues et au-delà. Le déroulé de cet essai qui sous certains aspects ressemble à un récit, est chronologique. Il est logique d'insister sur David Goodis avant Didier Daenincks et Arnaldur Indridason.

Il y a en filigrane de l’exposé de l’auteur d'immenses références littéraires. Les idées de lecture fusent dans les renvois en bas de chaque page, des grands classiques mais pas que. En fin d’ouvrage un index des auteurs cités évoque la littérature policière de ce dernier siècle dans toute sa diversité géographique et culturelle. Le plus cité après les indétrônables Chandler et Hammett est Léo Malet ( je vais donc lire un Nestor Burma mais je vais aussi prospecter vers les auteurs scandinaves que je n’ai pas encore lus, je pense par exemple à Mons Kallentoft ).

A ce jour je n’ai pas lu l’intégralité de « Polarville ». L’inestimable intérêt de cet ouvrage est qu’il bénéficie d’un plan détaillé dans lequel chaque chapitre est scindé en de nombreuses parties avec des titres évocateurs et idéalement choisis. Je vous donne un exemple :

Chapitre 3 – Qui est l’occasion d’un inventaire des principaux lieux de polar.

  • Les hauts lieux des bas-fonds
  • La rue déserte
  • Le quartier sinistre
  • Le terrain vague
  • La maison délabrée
  • L’hôtel miteux
  • Le trou à rats
  • L’usine vide et l’entrepôt
  • ……

Peut-être plus qu’à une lecture d’un seul trait, cet ouvrage se prête idéalement à une consultation à la demande aidée en plus par le déroulé chronologique. « Polarville » est un donc livre référence.

Jean-Noël BLANC – Polarville : images de la ville dans le roman policier. Parution le 30 mars 2023 aux Presses Universitaires de Lyon. ISBN 9782729714093. Il s’agit d’une version enrichie de l’édition de 1991.

Merci aux Presses Universitaires de Lyon   

Couverture de l'édition de 1991

Couverture de l'édition de 1991

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11 juillet 2023 2 11 /07 /juillet /2023 10:50
Dominique FORMA  -  Manaus

La parution du nouveau roman de Dominique Forma en juin dernier ( «La faute de la traductrice » ) fait ressurgir dans ma mémoire « Manaus » paru fin 2020. J’ai lu ce livre à sa sortie mais sans le chroniquer. Je viens donc de le relire pour mieux vous en parler. C'est un court roman noir, deux cents pages ne se refusent pas d’autant plus que j’en garde un excellent souvenir.

Octobre 1964, le voyage officiel du général de Gaulle en Argentine offre une couverture idéale pour François, un agent du service Action du SDECE. Il a une mission à accomplir. Au Paraguay. Il raconte …

François est militaire et il a rejoint le monde de l’espionnage. C’est un barbouze. Il ne se pose pas de question. Accomplir sa mission, il n’y a que cela qui importe même s’il s’agit de tuer de sang-froid. Un militaire obéit et agit. Après le Paraguay il y a une autre mission qui l’attend. Les ordres fusent, sa nouvelle destination est le Brésil. Manaus.

« Manaus » de Dominique Forma est un court roman, une novella. Le cadre d’une novelle est contraint, il ne faut pas se disperser. Aller à l’essentiel. La personnalité de François se prête bien à l’exercice. Les ordres, la mission, ne pas se poser de question. Dominique Forma n’a pas son pareil pour trouver le mot juste, tranchant et efficace comme François au Paraguay.

En mars 1964, le coup d’état militaire au Brésil a accordé à Manaus le statut de zone franche. Manaus va devenir un paradis pour l’argent et pas que l’argent propre. C’est aussi un paradis pour ceux qui ont choisi la clandestinité, les nazis, les anciens de l’OAS, les trafiquants que l’argent attire. A Manaus, François est rattrapé par son passé. Un passé de soldat, en Indochine et en Algérie. Il n’a pas toujours été un militaire solitaire. Il a aussi connu la fraternité d’armes.

Dans la torpeur équatoriale le style de Dominique Forma évolue, l’oppression de la chaleur et de l’humidité deviennent palpables. François s’interroge. Il y a la mission mais d’autres mots envahissent son esprit : trahison, obéissance, manipulation, devoir, respect.

Ce roman est un condensé de sensations, le suspense dans l’action, la surprise de rencontres inattendues, les incertitudes qui causent des attentes interminables, le poids de l’Histoire. Dominique Forma tel un magicien des mots excelle dans ce récit aux multiples facettes.

Dominique FORMA – Manaus. Parution en novembre 2020, Éditions La Manufacture de livres. ISBN 9782358877046.

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29 juin 2023 4 29 /06 /juin /2023 13:20
Volker  KUTSCHER  -  Le poisson mouillé

J’avais remarqué ce roman lors de sa publication en 2010 aux Éditions du Seuil. Je ne l’ai pas lu de suite puis je l’ai oublié jusqu’à la récente chronique de lecture de Black Novel ( voir ICI ). La série des enquêtes de Gereon Rath est de nouveau d’actualité grâce à sa réédition au format poche par Nouveau Monde Éditions en mars dernier.

Gereon Rath est commissaire à la PJ de Berlin, il travaille aux Mœurs. Son rêve était d’intégrer la Brigade Criminelle mais l’appui de son père n’a pas suffi lorsqu’il a été évincé de la police de Cologne. Nous sommes en 1929 et la réputation de la Crim’ est unanime surtout grâce au visionnaire et pionnier de la criminologie allemande Ernst Gennat qui la dirige. La personnalité complexe de Gereon Rath est une facette singulière de ce récit, un passé pas très clair, un brin manipulateur notamment avec un ami journaliste, une ambition forte parfois malsaine mais c’est un bon flic perspicace qui va profiter d’une bonne part de chance dans la résolution d’une affaire particulièrement complexe.

Un cadavre a été découvert dans une voiture repêchée dans le Landwehrkanal, un corps qui semble avoir été torturé. Malgré les moyens dont dispose la Criminelle, l’identification de cette victime s’annonce délicate. Cela ressemble fort à un futur poisson mouillé, l’expression inventée par Gennat pour désigner une affaire non élucidée. C’est un peu la chance qui va permettre à Rath de voir ce cadavre à l’institut médico-légal et il le reconnait, c’est un russe, Boris, qu’il avait croisé quelques jours plus tôt dans l’immeuble où il loue un appartement. C’est une chance en effet, il garde cette information pour lui et enquêter en catimini, plus pour servir son ambition d’être remarqué par la Crim’ que pour découvrir la vérité.

Ce premier roman de Volker Kutscher n’est pas qu’un roman policier, l’intrigue est construite sur un véritable travail d’historien concernant l’année 1929 et la République de Weimar. Les sanglantes manifestations du 1er mai sont le point d’orgue de cette année 1929 où tout a basculé, drapeaux rouges et slogans communistes, des barricades, des pillages et des coups de feu. Le pays est comme coupé en deux, les nationalistes et leurs milices extrémistes comme les SA d’un côté et les communistes dont on craint un putsch de l’autre. Les socialistes sont au pouvoir mais taxés de laxisme. Les schupos sont partout et les services de police nombreux, il y a même une police politique. Ce roman est aussi une visite approfondie de l’immeuble de l’Alexanderplatz ( le Château Fort ) qui abrite tous ces services pas toujours et pas tous efficaces, les lourdeurs de la bureaucratie prussienne sont tenaces. On y croise des personnages au caractère variés qui enrichissent le récit, comme Bruno Wolter aux idées politiques bien tranchées et collègue de Rath aux Mœurs, il y a aussi un médecin légiste truculent et Charlotte Ritter dite Charly aussi belle et mystérieuse qu’une femme fatale et avec qui Rath va avoir une liaison.

Le quotidien de la police berlinoise est varié, trafic de photos pornographiques ou le meurtre d’un jeune policier inoffensif tout juste sortie de l’école de police. Rath a une longueur d’avance dans l’affaire de l’inconnu du  Landwehrkanal et il est bientôt sur la trace d’un fabuleux trésor que se disputent émigrés russes et les espions de Staline et qui ne manque pas d’intéresser la pègre berlinoise et des flics ripoux. Filatures et guet-apens, planques et courses-poursuites, tournées des bars louches et des night clubs clandestins , whisky et cocaïne, indics et trahisons, rien ne manque dans cet impressionnant roman d’un peu plus de six cents pages. Un polar historique comme je les aime avec des personnages aux caractères bien trempés, une enquête complexe mais qui progresse habilement avec ce qu’il faut de rebondissements et un volet historique qui se prête bien aux énigmes et complots.

Il y a une suite, je suis curieux d’en savoir plus sur Gereon Rath, héros un brin antipathique mais flic habile et j’ai hâte de comprendre comment le nazisme a pu conquérir l’Allemagne qui s’était reconstruite économiquement dans la démocratie après la Première Guerre mondiale et avec une vie culturelle active.

Volker KUTSCHER – Le poisson mouillé . Titre original «Der nasse Fisch» ( Allemagne 2007 ), traduit de l’allemand par Magali Girault pour les Éditions du Seuil en 2010, ISBN 9782021115994. Rééditions en poche en avril 2011, Éditions Points ISBN 9782757822784 et par Nouveau Monde Éditions en mars 2023, ISBN 9782380943740.

Bibliographie de l’auteur ICI

Volker  KUTSCHER  -  Le poisson mouillé
Volker  KUTSCHER  -  Le poisson mouillé
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