Difficile de parler de Frédéric Paulin sans évoquer la « Trilogie Benlazar », une fresque historique et romanesque exceptionnelle retraçant et expliquant l’Histoire récente ( 1992 à 2015 ) du terrorisme islamique ( voir ICI ). L’actualité récente a réouvert un dossier tragique, celui du Proche-Orient. Notre attention a été focalisée sur Gaza avant de se porter sur le Liban. Le nouveau roman de Frédéric Paulin arrive à point nommé pour aider à comprendre une géopolitique locale d’une complexité extrême et rappeler la souffrance des populations locales à la fois impliquées et victimes d’un conflit que les occidentaux sont incapables d’apaiser et ont parfois exacerbé. Ce premier récit concerne la période 1975-1983 et est annoncé comme le premier volet d’une nouvelle trilogie.
La lecture des premières pages est déroutante. Pas facile de dater à quel moment commence le récit. Le présent se confond avec le passé, l’auteur parle de faits remontant à 1936, il évoque le 12 août dernier. Les protagonistes sont nombreux et leurs noms s’annoncent difficiles à retenir, tout comme ceux des lieux et des factions. Dans la trilogie Benlazar, il y avait des chapitres regroupés en parties et chacune correspondait à une année. En postface il y avait des glossaires et des chronologies. Rien de tout cela dans ce premier épisode de l’Histoire du Liban.
J’ai pris des notes. Il faut prendre des notes. Frédéric Paulin est habile, peu à peu des personnages principaux se dessinent. C’est sur eux que l’Histoire moderne du Liban va reposer. C’est grâce à eux que le lecteur entrevoit une lueur de vérité. Leurs souffrances personnels permettent d’imaginer les déchirures des peuples présents au Liban en 1975. Avec quelques personnages fictifs magnifiquement choisis par l’auteur, le lecteur est entraîné dans un récit d’une puissance rare et à la lecture addictive. Le destin de ces personnages est intimement imbriqué autant dans la plongée du Liban dans l’horreur que dans les coulisses de la politique française.
La famille Nada est chrétienne maronite. Proches de la France, les Nada occupent une place politique et économique forte au Liban. Le jeune Michel Nada a la double nationalité, libanaise et française. Il rejoint la métropole pour se faire une place dans les rouages politiques de la droite française, pour que la voix libanaise soit entendue. Avec lui, au sein du RPR, le lecteur assiste à l’ascension de Chirac. Sa famille restée au Liban est proche du président Gemayel.
Abdul Rasool al-Amine est un chiite de la ceinture des déshérités de la banlieue sud de Beyrouth et du Sud-Liban. Zia al-Faqih est une jeune femme chiite. Ils militent au sein de la milice armée Amal pour que des droits leur soient accordées dans leur pays, le Liban.
Kellermann est conseiller politique à l’ambassade de France à Beyrouth. Il est français mais sa seconde patrie est le Liban qu’il connait et qu’il aime. Lorsqu’il rejoint la France ses connaissances servent le PS et le futur président Mitterrand.
Le capitaine Dixneuf est officier traitant du SDECE à Beyrouth. Sa mission est de prévoir et d’agir pour la France. Mais peut-il vraiment l’assumer avec efficacité lorsque la France soutient les maronites, soutien l’OLP de Yasser Arafat et les palestiniens sans patrie réfugiés au Liban, discute avec la Syrie d’Hafez el-Assad qui soutient les Druzes libanais, livre des armes à l’Irak en guerre contre l’Iran de Khomeiny après lui avoir accordé l’asile ? Pendant ce temps Israël annexe le Golan et bombarde les camps palestiniens de la plaine de la Bekaa.
Le contexte libanais est d’une complexité extrême. On tue, on exécute, on se venge, on assassine, on finance les luttes armées grâce à l’argent de la drogue. Le Liban est en ruines. Toutes les populations souffrent et meurent. Le récit de Frédéric Paulin est à n’en pas douter le fruit de recherches historiques et d’investigations journalistiques impressionnantes et pour les restituer, il a choisi la littérature.
Michel Nada a épousée Sandra Gagliaco la fille d’un député RPR. Michel Nada est promis à une carrière politique brillante. Sandra est juge d’instruction spécialisée dans la lutte anti-terroriste. Le terrorisme frappe la France. Action Directe, Syrie, groupuscules dissidents de l’OLP, arméniens : le commissaire Caillaud et son adjoint Jacquemin enquêtent.
Les protagonistes imaginés par Frédéric Paulin vivent, se croisent, s’aiment, se détestent, souffrent, se révoltent, à l’image du Liban. Des parents ont peur et ont de la peine. Tous sont impuissants et subissent une situation hors de contrôle. Autant de points-de-vue, autant de tragédies. Il n’y a plus de frères, seulement des ennemis à jamais et des massacres comme à Sabra et Chatila. La division et la haine règnent, même au sein des chiites. L’horreur ne fait que commencer : «En fait ce n’est pas la fin d’un monde , c’est seulement la violence de l’Ancien Monde qui s’amplifie ». C’est sur ces mots que s’achève ce premier récit, passionnant, bouleversant et instructif. Nous sommes le 23 octobre 1983, à l’aube.
Frédéric PAULIN – Nul ennemi comme un frère . Parution 22 août 2024, Éditions Agullo . ISBN 978-2-38246-113-6 .
Présentation éditeur : Beyrouth, 13 avril 1975. Des membres du FPLP ouvrent le feu sur une église dans le quartier chrétien d’Ain el-Remmaneh. Quelques minutes plus tard, un bus palestinien subit les représailles sanglantes des phalangistes de Gemayel, inaugurant un déferlement de violence sans commune mesure qui dépassera bientôt les frontières du Liban et du Proche-Orient.
Michel Nada part alors pour la France, où il espère rallier la droite française à la cause chrétienne. Édouard et Charles, ses frères, choisissent la voie du sang. Dans la banlieue sud de Beyrouth, Abdul Rasool al-Amine et le Mouvement des déshérités se préparent au pire pour enfin faire entendre la voix de la minorité chiite.
À l’ambassade de France, le diplomate Philippe Kellermann va, comme son pays, se retrouver pris au piège d’une situation qui échappe à tout contrôle.
Mais comment empêcher une escalade des tensions dans un pays où la guerre semble être devenue le seul moyen de communication ? La France de Giscard et de Mitterrand en a-t-elle encore seulement le pouvoir, alors qu’elle se voit menacer au sein même de son territoire ?
Première partie du projet le plus ambitieux de Frédéric Paulin à ce jour, Nul ennemi comme un frère retrace les premières années de la guerre du Liban.
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