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6 décembre 2023 3 06 /12 /décembre /2023 14:07
Vincent ÉJARQUE  -  Un sang d'encre

Dès les premières pages, j’ai adoré l’ambiance créée par Vincent Ejarque. Il n’y a pas de dates précises seulement quelques indices, des meubles en formica, la série « Dallas », une «Ami 8 ». Le journal L’Équipe est daté du 19 mars, le rugbyman Rives va jouer un match du Tournoi. Cadalen est un journaliste à la dérive, il a été licencié lors d’un changement de direction consécutif à l’élection de Mitterrand. Cadalen est désormais seul face aux évènements et avec des piges pour s’en sortir financièrement. Rien ne va plus pour Cadalen, il retourne dans sa région natale pour assister aux obsèques d’un ami. De leur jeunesse, il ne reste qu’une photo d’un groupe de combat en Kabylie. La guerre a effacée les autres souvenirs.

Une nouvelle ambiance prend forme avec ce coin de France que Cadalen connaît bien et dessiné avec poésie par l’auteur « Entre les fermes isolées et les vergers tirés au cordeau, les hommes prenaient un soin infini à peigner la campagne, de labours en semis ». La région se dessine lentement et habilement à travers le regard de Cadalen. Le lecteur a des indices, de plus en plus précis tout au long du roman, le Ségala, la Découverte, le Tarn mais la ville n’est jamais nommée. Je l’ai identifiée, je la connais.

Le journaliste Cadalen reprend du service dans un journal local « Le courrier du Midi » et le lecteur se retrouve dans une nouvelle ambiance, une totale découverte pour moi. Il flotte un air de nostalgie lorsque Vincent Ejarque parle de la presse écrite, de ses locaux et des métiers de l’époque. Il y a aussi les hommes et les femmes d’une trempe aujourd’hui rare sinon disparue. Le rédac-chef Malvy ( un nom sans doute pas choisi au hasard ) lui propose de couvrir ce qui n’est encore qu’un fait divers local : quatre membres d’une même famille tués, y compris deux enfants. Un carnage. Le père, Jean-Jacques Sabatier, reste introuvable et fait un suspect idéal.

Dans cette ambiance angoissante, l’enquêteur est un journaliste, pas un flic tenu par une institution. C’est mieux pour fouiller, un journaliste est plus libre, plus attentif au contexte. Pour un lecteur, une énigme garantit des instants plaisirs. L’aspect polar se complique lorsque le cadavre de Sabatier est retrouvé. Une mort qui ressemble à une exécution. Le journaliste Cadalen est curieux et perspicace. Et puis les gens se confient plus à un journaliste qu’à un flic. Indirectement l’auteur dresse le portrait d’une époque pas si lointaine et rappelle le contexte social et politique du début des années 1980. Il y a des oublis réparés et des révélations surprenantes. C’est l’aspect Histoire, le lecteur est dans un roman noir passionnant. C’était le temps de la main d’œuvre non qualifiée et bon marché ramenée d’Afrique du Nord pour travailler dans l’industrie automobile, les grèves encadrées par un service d’ordre musclé qui servait indifféremment patrons et politiques pourvu qu’ils soient peu regardant. Il y avait aussi des harkis dans des camps. Les élus et ambitieux de la politique de tout bord profitent de la moindre opportunité pour convaincre les électeurs. Un arabe coupable idéal du meurtre de Sabatier et l’extrême droite monte au front. Et puis la politique c’est aussi l’opportunité de se faire de l’argent, parfois des sommes considérables. Pendant ce temps la France perd sa souveraineté économique, c’est Anne la logeuse de Cadalen qui le dit, elle s’y connait avec sa licence d’économie.

Cadalen fouille, cherche, questionne. Il est bien aidé par Armand, un photographe comme sans doute il n’y en a plus, «pas seulement un as de la photo, un as tout court ». Cadalen le journaliste aurait pu s’opposer au capitaine de Gendarmerie Masclet chargé de l’enquête de la tuerie de la famille Sabatier. Ils vont collaborer, toujours la fraternité d’armes et des souvenirs qui hantent leur vie. Le lien avec « Les spectres d’Alger » se fait ( voir ICI ) comme dans une frise historique.  Du premier roman de Vincent Ejarque, le lecteur retrouve le lieutenant Térien et découvre ce que sont devenus les clandestins de l’OAS. En relisant la fin des « Spectres d’Alger », j’ai noté deux phrases qui relient la Guerre d’Algérie aux recherches de Cadalen «Il redémarra la Simca, décidé à mettre le cap sur Oran, où les navires à destination de l’Espagne étaient plus nombreux et moins chargés. Il rejoindrait Carthagène, idéalement, Alicante sinon »  et   « Il y avait parmi eux des criminels, des séditieux, d’horribles brigands et, peut-être, en cherchant bien, quelques idéalistes ». L’expérience de la clandestinité aide à se fondre dans tout ce qui est illégalité, partout et tout le temps, comme immédiatement après la Seconde Guerre mondiale.

Ce deuxième roman de Vincent Ejarque est un modèle de roman noir, instructif pour comprendre le présent comme l’Histoire sait si bien le faire, passionnant et angoissant comme un polar . Un récit exceptionnel ! Une lecture comme celle-ci ne s’oublie pas, elle marque l’esprit en relatant une réalité violente, parfois sanglante. Les personnages fictifs ajoutent de l’émotion, on les aime ou on les déteste. A cela il convient d’ajouter une parfaite reconstitution du début des années 1980 avec tous ces détails qui font vrais. Un objet, un évènement d’apparence anodin et le charme opère, l’ambiance m’a transporté dans une époque bercée par l’insouciance de ma jeunesse mais finalement beaucoup plus sombre.

Un roman noir à ne pas rater, facile avec une si belle couverture.

Vincent EJARQUE – Un sang d’encre . Parution le 17 octobre 2023, Ramsay Éditions. ISBN 9782812204579 .

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4 décembre 2023 1 04 /12 /décembre /2023 10:17
Pascal DESSAINT  -  1886 . L'affaire Jules Watrin

La victoire des Républicains aux élections de 1879 a fait naître l’espoir pour les ouvriers. Le monde minier entre en lutte. Janvier 1886, les mineurs de Dacazeville sont en grève, les salaires ont été baissés. La colère est immense, aucun dialogue pour l’apaiser. Les mineurs marchent sur Decazeville, occupent les bureaux de la Compagnie des Houillères & Fonderies de l’Aveyron. Le sous-directeur Jules Watrin est molesté puis frappé avant d’être défenestré. Le 26 janvier 1886 Jules Watrin a été tué.

C’est le point de départ du récit de Pascal Dessaint. Il a exploité des documents d’époque, notamment L’Illustration dont est extrait l'image de la couverture de son roman. Il a accompli un travail d’historien. Jour après jour il détaille les conséquences de la violence qui a tué Watrin. A l’origine il y avait une grève, elle se termine dans la confusion. De vagues promesses sont faites, le gouvernement est décidé à faire pression sur la Compagnie mais tarde à agir. Jules Watrin a été tué, il y a des arrestations. Des troupes sont envoyées à Decazeville, l’armée veille au calme. Le versement de la paie de février relance la lutte, le 25 février une nouvelle grève commence.

Pascal Dessaint ne laisse pas de place au doute, il est avec les mineurs. Mais il explique pourquoi. Il approfondit pour savoir comment on en est arrivé là. Il appuie son propos d’extraits de discours, il cite des courriers, des dépêches télégraphiques, des comptes-rendus. C’est cela raconter l’Histoire. A l’époque les grévistes ont le soutien de Louise Michel. Celui de Clémenceau et Jaurès est beaucoup plus nuancé. Dans ce débat, j’ai découvert le député Basly qui soutient les revendications des mineurs en insistant sur le mépris dont ils font l’objet de la part de la Compagnie qui se réfugie derrière la crise, l’absence de versements de dividendes mais « elle se serait ruinée pour le bien être des ouvriers » déclare Gustave Petitjean, administrateur délégué. La presse se fait l’écho des débats, l’auteur cite Le Cri du peuple  et la réponse du Gaulois. L’Aveyron républicain publie Germinal en feuilleton. La censure sévit, le gouvernement menace mais la Compagnie reste inflexible. A Decazeville, c’est la grève générale. Plus de charbon, les hauts-fourneaux sont à l’arrêt. Deux milles soldats font face à mille cinq cents grévistes.

Pour relancer son récit historique Pascal Dessaint pose des questions. L’intérêt du lecteur est sans cesse relancé. Les réponses fusent, toujours puisées dans l’actualité de l’époque et toujours référencées par des documents pour exposer des faits. C’est cela raconter l’Histoire. L’auteur a choisi un style journalistique. C’est efficace et instructif.

Ce roman noir et social a un épilogue, la reprise du travail le 14 juin après cent huit jours de grève. Les familles avaient faim. Le lendemain s’ouvre le procès de ceux qui sont accusés d’avoir tué Watrin. Pascal Dessaint entame un nouveau récit, six jours d’audiences. C’est une partie du roman très vivante avec beaucoup de dialogues pour bien faire ressortir l’âpreté des débats. La retranscription de télégrammes annonce le verdict. C’est un récit historique et journalistique. J’ai trouvé qu’il manquait un peu d’émotion, peut-être un personnage fictif qui aurait aimé et détesté, qui se serait trompé, aurait douté avant de repartir de l’avant. Ceci étant j’ai aimé ce roman fait de révélations et qui retranscrit très bien le contexte social et politique de la fin du XIXème siècle et où l’auteur ne manque pas de trouver quelques similitudes avec le présent. Je ne résiste pas à l’envi de rappeler le portrait du député Basly, personnalité humaniste et visionnaire en ce qui concerne l’action syndicale.

Pascal DESSAINT – 1886 L’affaire Jules Watrin . Parution mai 2023, Éditions Payot & Rivages, collection Littérature Rivages . ISBN 978-2-7436-5911-0 .

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20 novembre 2023 1 20 /11 /novembre /2023 11:18
Paul COLIZE - Devant Dieu et les hommes

Paul Colize entraine ses lecteurs dans un passé pas si lointain, en Belgique son pays natal. Le 8 août 1956 à Marcinelle tout près de Charleroi, la plus dramatique catastrophe minière de Belgique causa la mort de 262 mineurs dans les galeries du charbonnage du Bois du Cazier dont certaines ont été creusées à plus de mille mètres de profondeur. L’auteur ajoute à cette tragique réalité un soupçon de fiction, la mort suspecte du porion Gustave Fonck. Il semble avoir été assommé et étouffé dans une galerie pendant la catastrophe et tout accuse deux mineurs de fond. Le procès se tient à la fin de l’année 1958, Paul Colize a choisi une narratrice pour faire le récit du procès des deux suspects dans un roman aussi noir que le charbon et les conditions de travail et de vie des mineurs de l’époque.

Katarzyna d’origine polonaise est une jeune employée au quotidien Le Soir cantonnée aux vétilles. Le journalisme est le monde réservé des hommes et lorsque le rédacteur en chef propose à Katarzyna de couvrir le procès de Marcinelle, elle n’hésite pas même si elle devine la difficulté de la tâche et sent le piège qui est peut-être tendu à la jeune femme.

Paul Colize est un remarquable conteur d’histoires, le regard de Katarzyna est fait de lucidité et d’émotions. Auditions, réquisition, plaidoirie, délibération sont là mais rien d’austère et au final il y a du polar dans la procédure judiciaire. Avis techniques, expertise médicale, témoignages, accusations, faits et suppositions se succèdent comme dans une enquête. Et comme dans un polar le charme opère. Katarzyna essaie d’analyser les attitudes, les silences, les réactions du procureur, de l’avocat, du juge et des jurés. Tous des hommes ! Les échanges sont tendus, il y a des accrochages verbaux, de la détresse et de l’espoir, un mobile trop simple, un policier arrogant. Les menteurs créent des fausses pistes, le témoin de dernière minute provoque un rebondissement. Le suspense est de plus en plus présent car Katarzyna d’observatrice devient partie prenante. Elle se révolte lorsqu’elle est confrontée à l’incompréhension. Elle approfondit avec opiniâtreté pour lever des doutes. Elle doit surmonter le découragement provoqué par l’attitude des hommes à son égard.

Le récit des deux accusés se fait dans un français hésitant. Ils sont italiens et à ce titre ils font des coupables idéals. Ce polar judiciaire est aussi un roman noir et social qui dénonce les discriminations subies par la main d’œuvre étrangère corvéable à merci, la xénophobie, les conditions de vie déplorables pour les mineurs et leurs familles. Le personnage de Katarzyna cristallise toutes les atteintes aux droits des femmes. Jugée incapable d’exercer le métier de journaliste, objet de moqueries vulgaires, elle mène un combat non seulement pour que le procès de Marcinelle soit juste et équitable mais aussi pour surmonter tous les traumatismes qu’elle a subi pendant la Seconde Guerre mondiale comme une multitude d’autres femmes.

« Devant Dieu et les hommes » est un grand roman noir, avec un beau titre. Il démontre aussi que des faits historiques restent cruellement d’actualité.

Paul COLIZE  -  Devant Dieu et les hommes. Éditions Hervé Chopin. Parution le 21 septembre 2023, ISBN 9782357207264

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6 novembre 2023 1 06 /11 /novembre /2023 13:45
Gérard STREIFF  -  Le sosie

C’est la septième enquête de Chloé Bourgeade, détective à l’agence d’enquêtes privées « Sémaphore ». J’ai fait la connaissance de Chloé dans une enquête qui lui avait permis de ressortir de l’oubli les sanglantes répressions policières  d’octobre 1961 à Paris ( voir ICI ). La nouvelle enquête de Chloé va de nouveau entraîner le lecteur dans le passé.

Chloé a été sollicitée par Odile Bercy qui ne se satisfait pas des explications officielles sur la mort de son mari Léo : son décès n’est pas la conséquence d’une chute mais d’un coup portée à la tête. Léo Bercy aurait été assassiné parce qu’il effectuait des recherches sur des évènements survenus dans les années 1970 époque à laquelle il enseignait le russe tout en étant un militant communiste très engagé.  

Il flotte un air de nostalgie dans ce récit. Années 70 … Gérard Streiff n’en finit pas de raviver mes souvenirs musicaux, il parle aussi de « Métal hurlant » et puis c’est en 1971 que le PCF s’installe place du Colonel Fabien. Il semble bien que le siège du PCF était devenu le centre de l’attention de tous les flics de France et de tous les services secrets de la planète. Léo Bercy militait dans les pas de Jean Kanapa alors responsable de la Polex, cellule internationale du PCF. Il se disait même que Jean Kanapa avait été remplacé par un sosie. Y avait-il une taupe parmi ses proches collaborateurs ? Léo Bercy en était persuadé et la découverte cinquante ans après de son identité a-t-elle provoqué son assassinat ?

L’auteur est habile pour mêler passé et présent. Il y a les souvenirs de Racine le coloc de Chloé et mémoire vivante des années 70. Il séjourne sur l’île de Bressant ( à moins que ce ne soit Ouessant, je ne sais plus très bien ), un séjour qui n’est pas de tout repos mais avec le téléphone il reste très présent et efficace pour guider et éclairer Chloé lorsqu’elle questionne les plus proches relations de Léo Bercy désormais placées au rang de suspect et une veuve énigmatique. L’affaire est complexe et Chloé n’est pas aidée par la paranoïa qui avait envahi le contexte politique des années 1970. Mais cela n’empêche pas l’auteur de glisser beaucoup d’humour dans son récit.

Gérard STREIFF – Le sosie . Parution Août 2023 , Éditions La Déviation. ISBN 979-10-96373-54-3 .

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31 juillet 2023 1 31 /07 /juillet /2023 16:00
Dominique FORMA  -  La faute de la traductrice

Après Manaus visité en 1962 ( voir ICI ), le nouveau roman de Dominique Forma emmène le lecteur en Argentine en 1959. Pour Solange Tailleraut, 22 ans, tout a commencé à Paris avec son embauche chez Inter-Ingen une grande entreprise française. C’est l’époque du capitalisme et du béton triomphants du début de la Vème République et Inter-Ingen a acquis une solide réputation en France, en Afrique et en Indochine. Avec Solange, l’entreprise ambitionne de conquérir des marchés en Amérique du Sud en commençant avec l’Argentine et la construction d’un grand barrage près de Córdoba. Solange est traductrice, « Elle pense, parle et rêve simultanément en français, en allemand et en espagnol. Trois fées de trois différents pays s’étaient penchées sur son berceau et avaient veillé à ce qu’elle devienne l’excellence incarnée ».

La première partie de ce roman permet à l’auteur d’insister sur la place de la femme dans un milieu professionnel où elles sont cantonnées à la fonction de secrétaire. L’homme dirige, décide, domine. Même si l’excellence de Solange est d’une importance stratégique au sein de son entreprise, elle n’a pas de bureau et reste reléguée au coin des secrétaires qui ont du mal à l’intégrer du fait de son statut particulier.

Le style de Dominique Forma est un véritable régal, des mots soigneusement choisis que ce soit pour exprimer la colère, la frustration, la domination ou pour décrire des lieux. Mais il n’a pas le choix, son roman est court ( tout juste 200 pages ), il lui faut être précis et concis et il excelle dans cet art. J’ai été enthousiasmé quand en quelques phrases seulement il parle de l’ambiance régnant à Orly et de celle de l’aéroport de LaGuardia à New York.

Solange accompagne Stéphane Gratien, séduisant séducteur et directeur des Opérations Étrangères, à Córdoba en Argentine. C’est une situation très inconfortable pour Solange qui a commis une faute, c’est le titre qui le dit, je ne partage pas cet avis mais c’est sans doute l’époque qui veut ça. Les négociations professionnelles se passent bien, Solange est douée avec la langue espagnole. J’ai adoré lorsque Dominique Forma relate comment elle réorganise ses notes prises lors des conversations de la journée en un rapport complet et précis. D’un point de vue privée, son séjour est un calvaire. Un soir, seule, elle entre dans un restaurant de Córdoba et des gens y parlent allemand. Depuis le prologue, le suspense devenait de plus en plus pesant aidé en cela par la photo de couverture du livre. Il fallait bien que cela arrive. Le récit change alors de ton. Il y a plus d’action, de la violence aussi. Des personnages énigmatiques entrent en scène et l’Histoire rejoint le quotidien argentin de Solange.

Dominique FORMA  -  La faute de la traductrice. Parution le 1er juin 2023, Éditions La Manufacture de livres. ISBN 978-2-3588-7982-8

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17 juillet 2023 1 17 /07 /juillet /2023 16:18
Jean-Noël BLANC - Polarville. Images de la ville dans le roman policier.

La première édition de cet essai date de 1991. La réédition de mars 2023 bénéficie d’une nouvelle préface rédigée par Dominique Manotti et dont l’interrogation finale interpelle : « La nouveauté fondamentale des années 1980 (…) c’est que le polar est peut-être en train d’abandonner sa propre mythologie et (…) pour la première fois de son histoire, d’admettre que la réalité urbaine n’est pas une monstruosité. Un renouveau du genre serait-il à l’œuvre ? » Le débat est ouvert, des éléments de réponses figurent dans la postface de Jean-Noël Blanc. Je suis tenté de conseiller de lire cette postface à la suite de la préface. Ces deux écrits permettent de mieux cerner le contenu de cet essai et de bien situer ce que l’auteur entend par "images de la ville dans le roman policier". C'est une utile préparation permettant ensuite d’apprécier l’exceptionnel contenu de « Polarville ».

L’essai de Jean-Noël Blanc peut être considéré comme une Histoire du polar avec à l’origine le roman noir américain et deux auteurs incontournables : Raymond Chandler et Dashiell Hammett. Avec eux la Ville est devenue synonyme de crimes, malversations et corruptions avec le détective privé comme justicier chevaleresque. Les temps changent, le privé a été remplacé par un flic désabusé. Le polar est devenu néo-polar et le mal s’est propagé, dans les banlieues et au-delà. Le déroulé de cet essai qui sous certains aspects ressemble à un récit, est chronologique. Il est logique d'insister sur David Goodis avant Didier Daenincks et Arnaldur Indridason.

Il y a en filigrane de l’exposé de l’auteur d'immenses références littéraires. Les idées de lecture fusent dans les renvois en bas de chaque page, des grands classiques mais pas que. En fin d’ouvrage un index des auteurs cités évoque la littérature policière de ce dernier siècle dans toute sa diversité géographique et culturelle. Le plus cité après les indétrônables Chandler et Hammett est Léo Malet ( je vais donc lire un Nestor Burma mais je vais aussi prospecter vers les auteurs scandinaves que je n’ai pas encore lus, je pense par exemple à Mons Kallentoft ).

A ce jour je n’ai pas lu l’intégralité de « Polarville ». L’inestimable intérêt de cet ouvrage est qu’il bénéficie d’un plan détaillé dans lequel chaque chapitre est scindé en de nombreuses parties avec des titres évocateurs et idéalement choisis. Je vous donne un exemple :

Chapitre 3 – Qui est l’occasion d’un inventaire des principaux lieux de polar.

  • Les hauts lieux des bas-fonds
  • La rue déserte
  • Le quartier sinistre
  • Le terrain vague
  • La maison délabrée
  • L’hôtel miteux
  • Le trou à rats
  • L’usine vide et l’entrepôt
  • ……

Peut-être plus qu’à une lecture d’un seul trait, cet ouvrage se prête idéalement à une consultation à la demande aidée en plus par le déroulé chronologique. « Polarville » est un donc livre référence.

Jean-Noël BLANC – Polarville : images de la ville dans le roman policier. Parution le 30 mars 2023 aux Presses Universitaires de Lyon. ISBN 9782729714093. Il s’agit d’une version enrichie de l’édition de 1991.

Merci aux Presses Universitaires de Lyon   

Couverture de l'édition de 1991

Couverture de l'édition de 1991

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11 juillet 2023 2 11 /07 /juillet /2023 10:50
Dominique FORMA  -  Manaus

La parution du nouveau roman de Dominique Forma en juin dernier ( «La faute de la traductrice » ) fait ressurgir dans ma mémoire « Manaus » paru fin 2020. J’ai lu ce livre à sa sortie mais sans le chroniquer. Je viens donc de le relire pour mieux vous en parler. C'est un court roman noir, deux cents pages ne se refusent pas d’autant plus que j’en garde un excellent souvenir.

Octobre 1964, le voyage officiel du général de Gaulle en Argentine offre une couverture idéale pour François, un agent du service Action du SDECE. Il a une mission à accomplir. Au Paraguay. Il raconte …

François est militaire et il a rejoint le monde de l’espionnage. C’est un barbouze. Il ne se pose pas de question. Accomplir sa mission, il n’y a que cela qui importe même s’il s’agit de tuer de sang-froid. Un militaire obéit et agit. Après le Paraguay il y a une autre mission qui l’attend. Les ordres fusent, sa nouvelle destination est le Brésil. Manaus.

« Manaus » de Dominique Forma est un court roman, une novella. Le cadre d’une novelle est contraint, il ne faut pas se disperser. Aller à l’essentiel. La personnalité de François se prête bien à l’exercice. Les ordres, la mission, ne pas se poser de question. Dominique Forma n’a pas son pareil pour trouver le mot juste, tranchant et efficace comme François au Paraguay.

En mars 1964, le coup d’état militaire au Brésil a accordé à Manaus le statut de zone franche. Manaus va devenir un paradis pour l’argent et pas que l’argent propre. C’est aussi un paradis pour ceux qui ont choisi la clandestinité, les nazis, les anciens de l’OAS, les trafiquants que l’argent attire. A Manaus, François est rattrapé par son passé. Un passé de soldat, en Indochine et en Algérie. Il n’a pas toujours été un militaire solitaire. Il a aussi connu la fraternité d’armes.

Dans la torpeur équatoriale le style de Dominique Forma évolue, l’oppression de la chaleur et de l’humidité deviennent palpables. François s’interroge. Il y a la mission mais d’autres mots envahissent son esprit : trahison, obéissance, manipulation, devoir, respect.

Ce roman est un condensé de sensations, le suspense dans l’action, la surprise de rencontres inattendues, les incertitudes qui causent des attentes interminables, le poids de l’Histoire. Dominique Forma tel un magicien des mots excelle dans ce récit aux multiples facettes.

Dominique FORMA – Manaus. Parution en novembre 2020, Éditions La Manufacture de livres. ISBN 9782358877046.

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2 juin 2023 5 02 /06 /juin /2023 15:53
Thomas CANTALOUBE   -   Mai 67

Une grande manifestation sociale a eu lieu le 26 mai 1967 à Pointe-à-Pitre en Guadeloupe. Elle prolongeait une grève des manœuvres du bâtiment. Leur revendication était simple, augmentation de leurs salaires de misère bien inférieur à ceux en vigueur en métropole alors que sur l’île le coût de la vie est très supérieur. Ces gens réunis sur la place de la Victoire subissent également depuis des siècles racisme et discrimination. Pour le préfet Delbotte tout est dirigé par des agitateurs communistes aux idées anticolonialistes et indépendantistes venues de Cuba. Comme durant la sombre période du préfet Papon à Paris, le calme est rétabli par la violence et la manifestation se termine dans le sang avec des tirs d’armes à feu contre les manifestants. Le GONG un petit parti politique local fait un bouc émissaire idéal.

Luc Blanchard en mai 67 vit en Guadeloupe avec sa compagne Lucille et leur petite fille Célanie. Il est pigiste d’un modeste quotidien local France-Antilles. C’est un peu le hasard, un peu la solidarité et un peu la nécessité de soigner les blessés qui ont emmené Lucille et Luc sur la place de la Victoire le 26 mai. Ce jour-là des coups de feu ont été tirés sur les manifestants, Luc en est sûr. Il y a eu des morts parmi les manifestants. Lucille a été arrêtée par la police. Fin mai 67, Antoine Lucchesi, à la barre d’un ketch appartenant à un riche homme d’affaire,  accoste dans la rade de Pointe-à-Pitre et Sirius Volkstrom, en mission pour la CIA anti-castriste, atterrit à l’aéroport de Pointe-à-Pitre Le Raizet.

Quel plaisir de retrouver les écrits de Thomas Cantaloube qui sait fouiller dans l’Histoire pour y dénicher les évènements cachés par une 5ème République qui n’en finit pas avec la censure et la répression. Et puis l’auteur n’a pas son pareil pour raconter et mettre en scène habilement trois personnages que tout oppose. C’est justement ce grand écart qui permet de créer les situations permettant de visionner toutes les facettes d’un évènements, d’argumenter et ainsi  mieux  dénoncer les scandales de cette époque où les gouvernants ne juraient que par des services parallèles pour contourner la loi et une police violente pour assoir leur pouvoir.

Retour à Paris pour le trio et pour les hauts fonctionnaires qui ont su sauver l’ordre. Retour aux origines de ce qui est le dernier volet d’une trilogie. Luc veut se rapprocher de Lucille qui est emprisonnée dans l’attente interminable d’une comparution devant la Cour de sûreté de l’Etat. Il est peut-être encore temps de l’innocenter mais le pouvoir n’est pas prêt à admettre ce qui s’est réellement passé le 26 mai en Guadeloupe. Sirius a retrouvé la trace de celui dont il veut se venger. Antoine Lucchesi avant de tout abandonner veut honorer une ultime dette d’honneur avec le sympathique Freddie et partager le magot qu’ils ont gagné en Guadeloupe. Le temps passe, nous sommes en mai 1968. Le lecteur croise Jacques Chirac, le député Claude Estier et l’incontournable Jacques Foccart, avant d’être entrainé dans un final maîtrisé à la perfection par Thomas Cantaloube dans un habile mélange de roman noir et de polar historique. Ces deux genres savent si bien associer réalité historique, révélations de politiques cachées et nostalgie naissante de voir trois personnages de fiction se séparer.

Que cette trilogie est bien avec ses belles couvertures très évocatrices !

Autres titres de cette trilogie : « Requiem pour une République » voir ICI  -  « Frakas » voir ICI 

Thomas CANTALOUBE – Mai 67 . Parution le 11 mai 2023 dans la Série Noire des Éditions Gallimard. ISBN 9782072985140.

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22 mai 2023 1 22 /05 /mai /2023 16:06
Carlo LUCARELLI  -  Péché mortel

Nouvelle enquête du commissaire De Luca que Carlo Lucarelli situe en 1943. Chronologiquement l’auteur n’avait pas mis en scène son héros avant avril 1945. La nouvelle période choisie, juillet à septembre 1943, est particulièrement complexe et changeante. Les alliés progressent vers le nord de l’Italie, Bologne est bombardée, l’armée allemande s’interpose. Mussolini est désavoué et arrêté, le roi Victor-Emmanuel III choisit le vieux maréchal Badoglio pour former un gouvernement. L’armée allemande occupe le nord de l’Italie et entre dans Bologne dans la nuit du 8 au 9 septembre 1943. Mussolini est libéré et revient au pouvoir dans la zone occupée par les nazis désormais dirigée par un régime fasciste républicain également appelée République de Salò. Ces épisodes historiques sont racontés au jour le jour, chaque tête de chapitre reprend des gros titres du quotidien de Bologne «Il Resto del Carlino».

Il y a toujours besoin d’un fin limier comme le commissaire De Luca par exemple pour remonter une filière de marché noir. C’est un travail d’enquête délicat pour la questure et la Criminelle en cette période de rationnement. Par contre les arrestations sont menées par l’implacable section du Ravitaillement de la Milice. De Luca n’est pas un homme d’action, il était présent le 24 juillet 1943 pour une interpellation et il s’est trompé de maison. Dans cette maison abandonnée De Luca y a trouvé un cadavre sans tête. Le hasard lui a confié une affaire qui dès lors va accaparer tout son temps et toutes ses pensées.

Pour sa hiérarchie cette affaire de corps sans tête est sans intérêt, il y a d’autres priorités et l’époque est trop incertaine pour se préoccuper d’un cadavre sans tête. Les habitants de Bologne sont dans la rue, des drapeaux rouges sont brandis. Les jours de l’administration fasciste sont-ils comptés ? Qui faut-il suivre ? De Luca s’y perd et ne sait plus quand il faut porter ou pas l’insigne du parti fasciste à la boutonnière. De Luca est seul pour enquêter, seul avec la peur que le destin de son pays interrompe ses recherches, seul avec la peur de ne pas pouvoir sauver sa vie dans cette période violente et de ne pas pouvoir mener à bien ses investigations.

L’enquête est passionnante et repose sur l’habileté et la perspicacité du commissaire De Luca. Le manque de moyens le conduit à des impasses. Il a mis le doigt sur une affaire qui implique des flics et miliciens véreux. Des pistes mènent à une famille princière proche du roi. Il y a aussi une mystérieuse valise qui a disparu. Mais il a un seul but, découvrir la vérité, élucider SON affaire.

« … Tu es un égoïste. Non, attends un égocentrique. Obsédé par une idée fixe, arriver au bout, comprendre, découvrir, à n’importe quel prix… comme ça tu peux oublier tout le reste, les difficultés quotidiennes, les responsabilités d’une vie normale, la politique aussi »

Peu importe les conséquences, quitte à négliger la belle Lorenza, il n’a plus le temps de rencontrer celle qu’il aime et qui l’aime. Il ne voit pas les bouleversements qui se produisent autour de lui. De l’arrivée de l’armée nazie à Bologne il ne voit que le lieutenant de la Gestapo, sympathique ancien collègue de la Kripo. Lorsque le fascisme revient aux commandes et lorsque son collègue Rassetto lui propose de rejoindre la police politique, il n’y voit qu’une opportunité bien venue de poursuivre et réussir son enquête et il ne renie pas l’aide et les moyens de ses nouveaux collègues, violence et trahison, pour l’aider à résoudre son affaire.

« - La magie du grand chasseur ! dit Rassetto, en donnant une claque sur l’épaule de De Luca.

Qui sourit »

Carlo Lucarelli bonifie la série des enquêtes du commissaire De Luca, chaque nouveau roman décortique et ne retient que l’essentiel d’une période historique particulièrement complexe. La psychologie de son personnage principal est à elle seule une véritable énigme. L’auteur nous gratifie aussi d’enquêtes policières passionnantes. A ce jour il y a une suite à traduire et je m’en réjouis.

Carlo LUCARELLI – Péché mortel, titre original « Peccato mortale », Italie 2018. Traduit de l’italien par Serge Quadruppani pour les Éditions Métailié ( parution mars 2023 ). ISBN 979-10-226-1246-3 .

Bibliographie de Carlo LUCARELLI et autres enquêtes du commissaire De Luca ICI  

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6 avril 2023 4 06 /04 /avril /2023 16:58
Carlo LUCARELLI  -  "Une affaire italienne"

Dans l’édition italienne, ce roman porte le sous-titre « Il ritorno del commissario De Luca ». De Luca est de retour, Carlo Lucarelli nous a laissé sans nouvelles de son commissaire pendant presque vingt ans !

Décembre 1953, De Luca est de retour après avoir été mis sur la touche en 1948 ( voir  ICI ). Une mission officieuse lui est confiée à Bologne par la Brigade criminelle de la Questure locale : élucider le meurtre de Stefania la jeune veuve du professeur Mario Cresca. Le cadavre a été découvert dans la garçonnière de son défunt mari. Un véritable bain de sang que De Luca saura décrypter comme il réussira à faire parler les voisins qui soit disant n’ont rien vu ni rien entendu. De Luca est resté un flic extraordinairement perspicace.

L’Italie n’en finit pas d’attribuer des titres, une tradition séculaire et cela fait sourire, De Luca a été en disgrâce, il n’est plus « dottore » et a été rétrogradé en « ingénieur ». Le mari de la victime était « professeur » mais ce titre n’avait pas de réelle valeur, Mario Cresca s’intéressait à la musique et il est mort dans un accident de voiture qui ne manque pas d’intriguer De Luca et son fidèle Pugliese qu’il retrouve affecté à la Police routière, une voie de garage.

Il plane un air de jazz sur ce roman. Orchestres, salles de spectacles, boîtes de nuit et belle chanteuse. Claudia, une envoutante métisse ( sa mère est originaire d’Abyssinie ) a appris à chanter en repiquant le riz, elle a été partisane, elle espère un contrat de chanteuse de jazz. De Luca a besoin de son aide dans une enquête où se mêle espions soviétiques et trafics de substances illicites.

A l’aube de l’année 1954, l’Italie change, à l’image de Giannino, le jeune inspecteur attaché aux basques de De Luca pour le surveiller, une tâche qui le dépasse et il finit par s’attacher à ce flic efficace et énigmatique. Giannino, c’est la jeunesse italienne, fils de bonne famille, insouciant, coiffé à la brillantine et décomplexé au volant de sa puissante Lancia Aurelia B20. Un visage de l’Italie bien différent de ses vieux démons avec une police gangrénée par des factions sans scrupules, un communisme très présent et que leurs opposants politiques mettent en travers de tout ce que l’Occident, les USA en tête, peuvent apporter à l’Italie. Désormais la Guerre froide divise le monde et l’Italie n’échappe pas à la règle. Cet état  d’esprit se retrouve dans les extraits de presse cités par Carlo Lucarelli, habiles et instructifs liens entre l’Histoire et le polar.

Il n’y a pas de temps mort dans ce court roman, une constante de l’auteur pour cette série. De Luca est un flic hors norme, obsédé par la recherche de la vérité, quand il enquête plus rien ne compte, il ne mange plus, se nourrissant seulement d’un peu de café, même fatigué il dort peu, préférant étudier photos et dossiers. Tout à un sens, le scénario et les personnages, tout sert à dresser un portrait juste de l’Italie et pour illustrer l’héritage des années de fascisme. Le fascisme, l’auteur n’en parle presque pas, il n’est certainement pas oublié et ne peut pas avoir disparu comme par enchantement. Le sens de ce roman amène à s’interroger sur la vérité et le pardon et la limite à construire entre la vérité à oublier et celle à condamner.

Carlo LUCARELLI – Une affaire italienne . Titre original « Intrigo italiano » ( Italie - 2017 ). Traduit de l’italien par Serge Quadruppani pour les Éditions Métailié ( parution février 2021 ). ISBN 979-10-226-1101-5

Bibliographie de l'auteur ICI 

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