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6 décembre 2023 3 06 /12 /décembre /2023 14:07
Vincent ÉJARQUE  -  Un sang d'encre

Dès les premières pages, j’ai adoré l’ambiance créée par Vincent Ejarque. Il n’y a pas de dates précises seulement quelques indices, des meubles en formica, la série « Dallas », une «Ami 8 ». Le journal L’Équipe est daté du 19 mars, le rugbyman Rives va jouer un match du Tournoi. Cadalen est un journaliste à la dérive, il a été licencié lors d’un changement de direction consécutif à l’élection de Mitterrand. Cadalen est désormais seul face aux évènements et avec des piges pour s’en sortir financièrement. Rien ne va plus pour Cadalen, il retourne dans sa région natale pour assister aux obsèques d’un ami. De leur jeunesse, il ne reste qu’une photo d’un groupe de combat en Kabylie. La guerre a effacée les autres souvenirs.

Une nouvelle ambiance prend forme avec ce coin de France que Cadalen connaît bien et dessiné avec poésie par l’auteur « Entre les fermes isolées et les vergers tirés au cordeau, les hommes prenaient un soin infini à peigner la campagne, de labours en semis ». La région se dessine lentement et habilement à travers le regard de Cadalen. Le lecteur a des indices, de plus en plus précis tout au long du roman, le Ségala, la Découverte, le Tarn mais la ville n’est jamais nommée. Je l’ai identifiée, je la connais.

Le journaliste Cadalen reprend du service dans un journal local « Le courrier du Midi » et le lecteur se retrouve dans une nouvelle ambiance, une totale découverte pour moi. Il flotte un air de nostalgie lorsque Vincent Ejarque parle de la presse écrite, de ses locaux et des métiers de l’époque. Il y a aussi les hommes et les femmes d’une trempe aujourd’hui rare sinon disparue. Le rédac-chef Malvy ( un nom sans doute pas choisi au hasard ) lui propose de couvrir ce qui n’est encore qu’un fait divers local : quatre membres d’une même famille tués, y compris deux enfants. Un carnage. Le père, Jean-Jacques Sabatier, reste introuvable et fait un suspect idéal.

Dans cette ambiance angoissante, l’enquêteur est un journaliste, pas un flic tenu par une institution. C’est mieux pour fouiller, un journaliste est plus libre, plus attentif au contexte. Pour un lecteur, une énigme garantit des instants plaisirs. L’aspect polar se complique lorsque le cadavre de Sabatier est retrouvé. Une mort qui ressemble à une exécution. Le journaliste Cadalen est curieux et perspicace. Et puis les gens se confient plus à un journaliste qu’à un flic. Indirectement l’auteur dresse le portrait d’une époque pas si lointaine et rappelle le contexte social et politique du début des années 1980. Il y a des oublis réparés et des révélations surprenantes. C’est l’aspect Histoire, le lecteur est dans un roman noir passionnant. C’était le temps de la main d’œuvre non qualifiée et bon marché ramenée d’Afrique du Nord pour travailler dans l’industrie automobile, les grèves encadrées par un service d’ordre musclé qui servait indifféremment patrons et politiques pourvu qu’ils soient peu regardant. Il y avait aussi des harkis dans des camps. Les élus et ambitieux de la politique de tout bord profitent de la moindre opportunité pour convaincre les électeurs. Un arabe coupable idéal du meurtre de Sabatier et l’extrême droite monte au front. Et puis la politique c’est aussi l’opportunité de se faire de l’argent, parfois des sommes considérables. Pendant ce temps la France perd sa souveraineté économique, c’est Anne la logeuse de Cadalen qui le dit, elle s’y connait avec sa licence d’économie.

Cadalen fouille, cherche, questionne. Il est bien aidé par Armand, un photographe comme sans doute il n’y en a plus, «pas seulement un as de la photo, un as tout court ». Cadalen le journaliste aurait pu s’opposer au capitaine de Gendarmerie Masclet chargé de l’enquête de la tuerie de la famille Sabatier. Ils vont collaborer, toujours la fraternité d’armes et des souvenirs qui hantent leur vie. Le lien avec « Les spectres d’Alger » se fait ( voir ICI ) comme dans une frise historique.  Du premier roman de Vincent Ejarque, le lecteur retrouve le lieutenant Térien et découvre ce que sont devenus les clandestins de l’OAS. En relisant la fin des « Spectres d’Alger », j’ai noté deux phrases qui relient la Guerre d’Algérie aux recherches de Cadalen «Il redémarra la Simca, décidé à mettre le cap sur Oran, où les navires à destination de l’Espagne étaient plus nombreux et moins chargés. Il rejoindrait Carthagène, idéalement, Alicante sinon »  et   « Il y avait parmi eux des criminels, des séditieux, d’horribles brigands et, peut-être, en cherchant bien, quelques idéalistes ». L’expérience de la clandestinité aide à se fondre dans tout ce qui est illégalité, partout et tout le temps, comme immédiatement après la Seconde Guerre mondiale.

Ce deuxième roman de Vincent Ejarque est un modèle de roman noir, instructif pour comprendre le présent comme l’Histoire sait si bien le faire, passionnant et angoissant comme un polar . Un récit exceptionnel ! Une lecture comme celle-ci ne s’oublie pas, elle marque l’esprit en relatant une réalité violente, parfois sanglante. Les personnages fictifs ajoutent de l’émotion, on les aime ou on les déteste. A cela il convient d’ajouter une parfaite reconstitution du début des années 1980 avec tous ces détails qui font vrais. Un objet, un évènement d’apparence anodin et le charme opère, l’ambiance m’a transporté dans une époque bercée par l’insouciance de ma jeunesse mais finalement beaucoup plus sombre.

Un roman noir à ne pas rater, facile avec une si belle couverture.

Vincent EJARQUE – Un sang d’encre . Parution le 17 octobre 2023, Ramsay Éditions. ISBN 9782812204579 .

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