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6 avril 2023 4 06 /04 /avril /2023 16:58
Carlo LUCARELLI  -  "Une affaire italienne"

Dans l’édition italienne, ce roman porte le sous-titre « Il ritorno del commissario De Luca ». De Luca est de retour, Carlo Lucarelli nous a laissé sans nouvelles de son commissaire pendant presque vingt ans !

Décembre 1953, De Luca est de retour après avoir été mis sur la touche en 1948 ( voir  ICI ). Une mission officieuse lui est confiée à Bologne par la Brigade criminelle de la Questure locale : élucider le meurtre de Stefania la jeune veuve du professeur Mario Cresca. Le cadavre a été découvert dans la garçonnière de son défunt mari. Un véritable bain de sang que De Luca saura décrypter comme il réussira à faire parler les voisins qui soit disant n’ont rien vu ni rien entendu. De Luca est resté un flic extraordinairement perspicace.

L’Italie n’en finit pas d’attribuer des titres, une tradition séculaire et cela fait sourire, De Luca a été en disgrâce, il n’est plus « dottore » et a été rétrogradé en « ingénieur ». Le mari de la victime était « professeur » mais ce titre n’avait pas de réelle valeur, Mario Cresca s’intéressait à la musique et il est mort dans un accident de voiture qui ne manque pas d’intriguer De Luca et son fidèle Pugliese qu’il retrouve affecté à la Police routière, une voie de garage.

Il plane un air de jazz sur ce roman. Orchestres, salles de spectacles, boîtes de nuit et belle chanteuse. Claudia, une envoutante métisse ( sa mère est originaire d’Abyssinie ) a appris à chanter en repiquant le riz, elle a été partisane, elle espère un contrat de chanteuse de jazz. De Luca a besoin de son aide dans une enquête où se mêle espions soviétiques et trafics de substances illicites.

A l’aube de l’année 1954, l’Italie change, à l’image de Giannino, le jeune inspecteur attaché aux basques de De Luca pour le surveiller, une tâche qui le dépasse et il finit par s’attacher à ce flic efficace et énigmatique. Giannino, c’est la jeunesse italienne, fils de bonne famille, insouciant, coiffé à la brillantine et décomplexé au volant de sa puissante Lancia Aurelia B20. Un visage de l’Italie bien différent de ses vieux démons avec une police gangrénée par des factions sans scrupules, un communisme très présent et que leurs opposants politiques mettent en travers de tout ce que l’Occident, les USA en tête, peuvent apporter à l’Italie. Désormais la Guerre froide divise le monde et l’Italie n’échappe pas à la règle. Cet état  d’esprit se retrouve dans les extraits de presse cités par Carlo Lucarelli, habiles et instructifs liens entre l’Histoire et le polar.

Il n’y a pas de temps mort dans ce court roman, une constante de l’auteur pour cette série. De Luca est un flic hors norme, obsédé par la recherche de la vérité, quand il enquête plus rien ne compte, il ne mange plus, se nourrissant seulement d’un peu de café, même fatigué il dort peu, préférant étudier photos et dossiers. Tout à un sens, le scénario et les personnages, tout sert à dresser un portrait juste de l’Italie et pour illustrer l’héritage des années de fascisme. Le fascisme, l’auteur n’en parle presque pas, il n’est certainement pas oublié et ne peut pas avoir disparu comme par enchantement. Le sens de ce roman amène à s’interroger sur la vérité et le pardon et la limite à construire entre la vérité à oublier et celle à condamner.

Carlo LUCARELLI – Une affaire italienne . Titre original « Intrigo italiano » ( Italie - 2017 ). Traduit de l’italien par Serge Quadruppani pour les Éditions Métailié ( parution février 2021 ). ISBN 979-10-226-1101-5

Bibliographie de l'auteur ICI 

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30 mars 2023 4 30 /03 /mars /2023 15:27
Olivier BARDE-CABUÇON  -  "Hollywood s'en va en guerre"

Une affaire de chantage, c’est un travail pour un privé. La victime n’a pas encore été rançonnée mais compte tenu de sa célébrité un risque de scandale existe car on lui a volé des photos osées. Nous sommes en septembre 1941, la victime s’appelle Lala Lass, c’est une actrice les plus en vue de Hollywood. Le privé est l’enquêtrice Vicky Mallone.

Il y a du Raymond Chandler dans ce roman génial ! Avec un nom comme Vicky Mallone il fallait s’y attendre et comme pendant l’âge d’or du roman noir américain l’enquêtrice d’Olivier Barde-Cabuçon n’est pas épargnée avec une affaire qui va devenir un véritable imbroglio de plus en plus complexe chaque fois que Vicky croise un cadavre. Des rebondissements en cascade, presqu’autant de surprises que de chapitres ( 41 au total ), c’est un des codes des romans-feuilletons du temps des pulp magazines que l’auteur maîtrise à la perfection. J’ai été happé par cette fiction un peu rocambolesque très bien intégrée dans l’Histoire du cinéma hollywoodien. Car c’est bien là que se situe le principal intérêt de ce roman qui fourmille de portraits sans concession de stars du grand écran. Je n’en citerais qu’un, Errol Flynn qui bien sûr tente de séduire Vicky, l’astre du jour dit-il en s’adressant à elle. Vicky représente à elle seule toutes les résistances des femmes de cette époque face au sexisme et au machisme. Vicky c’est la liberté et l’indépendance dans la vie comme en amour mais avec des moments de spleen. C’est aussi une redoutable enquêtrice avec ses indics bien renseignés, sa perspicacité, son holster et son regard acéré, lucide et rempli d’humour. Vicky incorruptible comme Philip Marlowe , Vicky une justicière à la Sam Spade qui délaisse volontiers le whisky pour les cocktails mais en abuse tout autant.

Vicky Mallone est entraînée dans une affaire qui aurait pu la dépasser mais elle s’en sort avec brio ( il est vrai un peu aidée par un flic multicarte énigmatique ). L’époque se prête bien aux conspirations. En 1941 ( un peu avant la sortie du film « Le Faucon maltais » avec Humphrey Bogart ) l’Europe est en guerre contre l’Allemagne nazie. Aux USA la pression isolationniste est forte pour ne pas entrer dans ce conflit éloigné. Il y a de tout en Amérique, pas seulement des évangélistes puritains mais aussi des antisémites et des néonazis, le mouvement America First ne veut pas d’une guerre et son opinion compte, le héros Charles Lindberg l’a même rejoint. Le président Roosevelt veut préparer l’opinion publique à une entrée en guerre. Pour ce faire le studio Lindqvist va tourner un film avec la célèbre actrice Lala Lass en tête d’affiche. Son titre ? « Cherchez le nazi » . Pourquoi pas « Balance ton nazi » estime Vicky qui a toujours le mot pour rire. Je ne résiste pas au plaisir d’une dernière citation de la belle détective alors que sa voiture a beaucoup souffert lors d’une course-poursuite : « Forcément, elle va marcher beaucoup moins bien ».

Olivier Barde-Cabuçon a accompli un véritable travail d’historien pour dresser le portrait de la société américaine à la veille d’entrer dans ce conflit qui deviendra bien vite la Seconde guerre mondiale. Son récit fourmille de références hollywoodiennes avec  un vocabulaire cinématographique du plus bel effet. Les chapitres 6 et 7 vont plaire à tous les passionnés d’Histoire du cinéma mais en dehors de ce focus, le lecteur attentif découvre tout au long de ce formidable roman de multiples anecdotes révélées à bon escient. « Hollywood s’en va en guerre » est une lecture très instructive et particulièrement distrayante.

Olivier BARDE-CABUÇON – Hollywood s’en va en guerre. Parution le 9 mars 2023 dans la collection Série Noire des Éditions Gallimard. ISBN 9782072960925 .

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27 mars 2023 1 27 /03 /mars /2023 16:45
Arturo  PÉREZ - REVERTE  -  " Eva "

Deuxième épisode des aventures de Lorenzo Falcó, aventurier et mercenaire à la solde des franquistes ( premier tome, voir ICI ). C’est un efficace et implacable exécuteur de missions impossibles confiées par le Service national du renseignement et des opérations, il reçoit ses ordres directement depuis le QG des franquistes à Salamanque. Falcó est un mercenaire et accomplit un travail grassement rémunéré mais dangereux. Espionnage et aventures sont au rendez-vous de cette série mais il y a plus passionnant encore. Arturo Pérez-Reverte a choisi d’explorer la Guerre civile espagnole commencée le 18 juillet 1936. Ce conflit a ses zones d’ombre et ses énigmes, il en est une qui se partage entre réalité historique et fantasmes liés à un fabuleux trésor dispersé, celui de l’or de la Banque d’Espagne.

Dans les mois qui ont suivi l’insurrection militaire et l’offensive nationaliste, la République espagnole a entrepris de mettre en sécurité l’or de la Banque d’Espagne. Une partie a été envoyée depuis Carthagène à bord de bateaux russes à destination de la mer Noire. L’URSS devait en retour aider militairement les Républicains. Des tonnes d’or. Au printemps 1937, le Mount Castle, cargo républicain s’est réfugié dans le port de Tanger. A son bord des tonnes d’or convoitées par le Caudillo pour payer les armes envoyées par les nationalistes allemands et les italiens. Tanger est une zone internationale, un port neutre qui est une bonne protection pour le cargo mais c’est aussi une souricière qu’il ne peut quitter car au large le destroyer nationaliste Martin Àlvarez veille. Tanger nid d’espion où Falcó doit mettre la main sur ce trésor.

Dans ce récit, Arturo Pérez-Reverte privilégie le genre espionnage plus que l’aventure. Falcó devient Pedro Ramos engagé dans une affaire dangereuse et complexe qui se joue dans de luxueux palaces où il aime séduire. Mais la vie d’espion ce sont aussi des ruelles sombres où il faut se protéger, une balle toujours engagée dans la chambre de son Browning et une lame de rasoir dissimulée entre le tissu et la bande de basane de son Stentson. Il y a aussi des tueurs et un opérateur radio clandestin. Falcó doit négocier avec le capitaine du Mount Castle et celui du destroyer Martin Àlvarez, des gens de mer habiles et rusés qui se respectent mais ne sont pas à un mensonge et à une trahison près. Falcó retrouve sur son chemin une adversaire plus redoutable encore. Eva Neretva est à bord du Mount Castel pour veiller à ce que l’or rejoigne Odessa. Une bolchevik convaincue du NKVD face à un aventurier mercenaire, ces deux êtres vivent une passion charnelle intenses et une lutte sans merci.

Un roman d’espionnage est souvent complexe à suivre. Dans ce récit Artura Pérez-Reverte s’en sort bien en reconstituant habilement l’atmosphère trouble de Tanger et en mettant en scène des personnages  à la personnalité approfondie. L’ensemble sert un suspense psychologique de très bonne facture avec un scénario sobre bien inséré dans l’Histoire.  

Arturo PÉREZ-REVERTE – Eva , titre original « Eva » , Espagne 2017. Traduit de l’espagnol par Gabriel Iaculli pour les Éditions du Seuil, parution en octobre 2019. ISBN 9782021398021 . Réédition en poche en octobre 2020, Éditions Points . ISBN 9782757880807 .

Arturo  PÉREZ - REVERTE  -  " Eva "
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24 mars 2023 5 24 /03 /mars /2023 16:42
Pierre  HANOT  - "Au bout , la nuit"

Pierre Hanot ne choisit pas la facilité avec un salaud comme personnage principal. Paul a été un collabo de la pire espèce et en juin 1945 il doit rendre des comptes. C’est le temps de l’épuration. Il aurait pu finir exécuté sauvagement, il va avoir droit à un procès et Julien sera son avocat. Le dialogue n’est pas facile entre les deux hommes, Julien veut défendre l’homme pas ses actes. Paul ne veut rien éluder de ses choix et encore moins les renier.

Les chapitres consacrés aux entrevues entre Julien et Paul et les interrogatoires menés par l’inspecteur Emile alternent avec le récit de sa vie qu’écrit Paul au fond de son cachot de la prison de Toulouse. Son enfance ne fut pas heureuse mais le plus révoltant est son comportement pendant l’occupation.

Le récit de Paul retrace une page noire de notre Histoire. Paul est de ceux qui ont collaboré de la manière la plus violente qui soit. Fin juin 1943 il rejoint la Franc-Garde ( bras armé de la Milice française ), il est instruit et entrainé dans le camp de Calabres près de Vichy. Il y sera repéré pour participer activement « au maintien de l’ordre ». Il va s’y employer pleinement. Le parcours de Paul est une descente aux enfers et devient sous la plume de Pierre Hanot un témoignage historique pour ne pas oublier . La protection de Darnand, son patron vénéré, est une immersion au plus près du pouvoir installé à Vichy. Les actions contre la Résistance se résument à torturer et à tuer. Lorsque la menace alliée se fait pressante, c’est la débandade. Il y a ceux qui s’efforcent de s’inventer un passé de résistant, pour les autres c’est la fuite vers l’Allemagne et Sigmaringen. Paul ne regrette rien et surtout veut continuer son parcourt jonché de cadavres avec la division Charlemagne pour un ultime baroud sanglant qui n’aura pas lieu.

Paul est jugé à Toulouse. L’Histoire suit son court, l’épuration sauvage n’est plus en vigueur.

Il ne faut pas oublier et en ce sens le récit historique de Pierre Hanot est fondamental. Ce n’est pas un exposé magistral mais un récit concis ( 150 pages ) et facile à lire s’il n’y avait pas l’horreur. L’auteur ne retient que l’essentiel et ne fait aucune concession. Punir ou amnistier ? Pardonner ? L’auteur a choisi. Le lecteur est inévitablement amené à s’interroger et surtout à rester vigilant.   

Pierre HANOT – Au bout, la nuit. Parution avril 2022, Éditions Konfident. ISBN 9782956983774

Pierre Hanot est habitué des récits historique. En 2020, il publiait « Aux vagabonds l’immensité » récit d’un épisode méconnu ou oublié de notre Histoire, voir ICI

 

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8 mars 2023 3 08 /03 /mars /2023 11:05
Carlo LUCARELLI - "Via delle Oche"

Avril 1948, le commissaire-adjoint De Luca arrêté à la fin de  « L’été trouble » ( voir ICI ) a été libéré et reprend du service. C’est un retour sur la pointe des pieds, Le Haut Commissariat pour l’Épuration l’a épargné mais il y subsiste des périodes non renseignées  dans sa fiche personnelle. Il est désormais affecté à la Brigade des Mœurs de Bologne, un poste peu exposé compte tenu de son passé. Il retrouve l’adjudant Pugliese ( voir tome 1  ICI ) qui l’emmène sur une scène de crime au 23 de la Via delle Oche, la rue des bordels de Bologne donc cela concerne De Luca.  La victime officiait comme gardien chargé de l’ordre dans une maison de passe.

De Luca n’a pas son pareil pour décrypter une scène de crime et pour poser les bonnes questions. Quand il enquête il n’y a plus que cela qui compte, jusqu’à en perdre l’appétit et le sommeil. Il ne néglige aucun détail, vérifie tout. Bien vite il est sur une piste, De Luca est un excellent flic. Mais la piste qu’il suit est jonché de cadavres ce qui ne manque pas d’attirer l’attention de la Brigade Criminelle qui trouve l’affaire très simple, crime d’un rôdeur ou règlement de compte, dans le domaine de la prostitution tout est simplicité, à l’époque la règlementation est tatillonne mais la Police peu regardante.

L’auteur encre solidement son récit dans l’actualité du mois d’avril 1948. Des élections générales ont lieu le dimanche 18. Un enjeu majeur, les italiens doivent faire un choix entre la Démocratie Chrétienne et le Front Démocratique dans lequel le Parti Communiste est très influent en temps qu’héritier de la Résistance italienne. Les communistes sont tout-puissants à Bologne. L’auteur parle de ces élections, un chapitre pour chaque journée d’avril et en entête des gros titres de la presse italienne de l’époque. La situation est tendue, saisie d’armes, répression raciste, propagande anticommuniste. Au lendemain des élections le député communiste Togliatti échappe à un attentat. L’Italie est au bord de la guerre civile.

Les romans de Carlo Lucarelli sont courts et celui-ci n’échappe pas à la règle ( il compte 200 pages ). L’enquête avance très vite mais logiquement grâce à la perspicacité de De Luca. Peut-on esquiver la vérité pour sauver la paix sociale et la démocratie ? Le peuple italien a une aspiration légitime au calme et se passionne bien plus pour d’autres titres de la presse comme le maillot jaune de Gino Bartali dans le Tour de France. De Luca va au bout de son travail comme il a toujours fait. Quitte à entrer en disgrâce.

Ce roman de Carlo Lucarelli a été publié en 1996 en Italie. Il pouvait constituer une fin cohérente à ce qui aurait été une trilogie de romans policiers historiques instructifs. Une suite est parue en 2017.

Carlo LUCARELLI  -  Via delle Oche . Titre original « Via delle Oche » ( Italie – 1996 ). Traduit de l’italien par Arlette Lauterbach pour la Série Noire des Éditions Gallimard, parution octobre 1999. ISBN 9782070497850 .

Bibliographie de l'auteur ICI          

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3 mars 2023 5 03 /03 /mars /2023 16:51
Régis DESCOTT  -  "Topographie de la terreur"

De nos jours il existe à Berlin un lieu de mémoire appelé « Topographie des Terrors » qui rappelle tous les crimes commis par les nombreuses institutions du Troisième Reich au nom des théories nazies sur une prétendue supériorité raciale. Ce roman reprend le nom de ce mémorial et met en scène ces structures policières et répressives ainsi que les moyens souvent dérisoires employés par le peuple allemand résistant. Régis Descott se démarque des auteurs qui ont choisi Berlin et la Seconde Guerre mondiale comme cadre d’un roman policier historique, son récit revêt des allures de documentaire d’une grande valeur historique.

 Les deux personnages principaux ont été habilement choisis. Le Kriminal Kommissar Gerhardt Lenz de la Kripo ( il travaille sous les ordres d’Arthur Nebe ) est un ancien combattant de la Première Guerre mondiale, sa compagne Flora est juive, ils attendent un enfant. Gerhardt a un jeune frère, Arnim, journaliste contestataire obligé de se taire, il est homosexuel. Ces deux personnages cristallisent ce que le parti nazi ( NSDAP ) a désigné comme ennemis. Gerhardt a connu toutes les étapes de l’accession au pouvoir de Hitler et du NSDAP et son travail en 1943 se résume à faire en sorte que les multiples dénonciations envoyées à la Kripo aient le moins de conséquences possibles malgré la surveillance dont il fait l’objet. La presse est entièrement contrôlée et ne permet plus à Arnim de faire son travail de journaliste. Il résiste, à sa manière, aide des juifs mais aussi des artistes jugés décadents et prend des notes pour l'avenir.

Deux scènes de crime identiques vont entrainer Gerhardt au plus près du pouvoir et le rapprocher toujours plus de la terreur et de l’horreur. Les deux victimes sont médecins. Dans leur passé, le Kriminal Kommissar Lenz va découvrir le programme d’euthanasie de masse ( Aktion T 4 ) destiné à épurer le Reich de tous les parasites et races désignés par les théories du NSDAP et érigés au rang de danger pour une race blanche et pure. Ce danger martelé à la population allemande par la propagande de Joseph Goebbels incitait à la dénonciation. Personne ne savait à qui elle avait à faire, la crainte de la dénonciation favorisait l’autocensure. La terreur régnait partout, dans chaque immeuble, dans la rue et jusque dans chaque rouage de l’administration. C’est dans ce contexte que Gerhardt Lenz enquête, notamment dans les milieux juifs en espérant ne rien trouver et quitte à dissimuler la progression de ses recherches à sa hiérarchie pour que le coupable puisse fuir. L’auteur suit les codes du polar avec des indices, des fausses pistes, des impasses et des rebondissements. La recherche de la vérité est aussi passionnante que ne l’est l’enquête interne que subit Gerhardt et sa famille. Le Gestapo et ses multiples départements et sections se renseignaient sur tout et tous, avec l’aide de tous ( dénonciation ) avant de recourir à la violence physique. Pour servir d’exemple des simulacres de procès au Tribunal du Peuple ( Volksgerichtshoh présidé par le sinistre juge Freisler ) prononçaient les condamnations à mort.

C’est tout ce contexte, toute cette topographie de la terreur que Régis Descott explore de manière détaillée avec un grand talent de narrateur. Sous les bombardements alliés de plus en plus nombreux, l’histoire de Gerhardt et Arnim suit les méandres d’un état criminel qui les écrasent inéluctablement. Le destin de ces deux allemands est aussi passionnant et source de suspense que la facette polar ou que la trame historique. Ce roman est inclassable, bien construit, bien écrit et source d’émotions.

Régis DESCOTT -  « Topographie de la terreur » . Parution le 19 janvier 2023, Éditions de l’Archipel. ISBN 978-2-8098-4630-0 .

Une belle lecture et plein de souvenirs de la rencontre de Régis Descott au festival salon du polar de Nemours ( janvier 2023 ).

Régis DESCOTT  -  "Topographie de la terreur"
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28 février 2023 2 28 /02 /février /2023 16:28
Loïc ARTIAGA et Matthieu LETOURNEUX – Aux origines de la pop culture

J’adore découvrir l’Histoire des livres. En 2013 j’avais été enthousiasmé par « Une histoire de l’édition à l’époque contemporaine ( XIXème – XXème siècle ) » d’Elisabeth PARINET ( voir ICI ). Je n’ai pas été déçu par le focus fait par Loïc ARTIAGA et Matthieu LETOURNEUX et dont le titre complet est "Aux origines de la pop culture - Le Fleuve Noir et les Presses de la Cité au coeur du transmédia à la française, 1945 - 1990". Je connaissais l’érudition de Matthieu LETOURNEUX à travers sa page internet consacrée au roman d’aventures ( voir ICI ), Avec Loïc ARTIAGA, il raconte une histoire formidable dans laquelle j’ai retrouvé tout ce qui me fait aimer lire.

Il est bien sûr question de littérature populaire ( ou littérature de genre ) qui a connu un âge d’or dans l’entre-deux-guerres impulsé par les romans noirs américains. La Seconde Guerre mondiale va tout bousculer et sera suivie d’une dynamique nouvelle de l’édition française façonnée par d’efficaces hommes d’affaires. Parmi ceux-ci il y a Sven Nielsen ( 1901 – 1976 ) fondateur des Presses de la Cité en 1944. En 1949 Armand de Caro, Guy Krill et Robert Bonhomme fondent le Fleuve Noir. Leur démarche est simple et efficace, attirer les auteurs francophones ou non, inonder le marché avec des tirages imposants et multiplier les points de vente indépendants des Messageries officielles. Ils attirent le lecteur grâce à des couvertures alléchantes, des collections aux noms évocateurs et des parutions fréquentes et régulières. Le livre devient un objet de consommation courante et n'échappe pas une société des Trente Glorieuses adepte du consumérisme . Ces deux maisons d’édition fusionneront en 1963.

Loïc ARTIAGA et Matthieu LETOURNEUX insistent sur les stratégies commerciales des Presses de la Cité et du Fleuve Noir. Ils développent également les relations entretenues avec les auteurs. Les figures de proue, Frédéric Dard ( Fleuve ) et Georges Simenon ( Presses de la Cité) représentatifs du polar sont progressivement rejointes par des noms qui vont passionner un plus large public. Après le second conflit mondial, cette nouvelle littérature s’inspire de l’actualité dans des nouveaux genres, Guerre froide pour l’espionnage, progrès technologique et conquête de l’espace pour l’anticipation, Tous les publics sont touchés par cette production de masse qui a besoin de tous les publics pour vivre économiquement. Quel plaisir de voir évoquer des auteurs distrayants ( Paul Kenny, Claude Rank, Jean Bruce, G.-J. Arnaud … et il y en a tant d’autres ) et des héros inoubliables ( OSS 117, Coplan, Vic St Val, Mr Suzuki … et il y en a tant d’autres ).

Le livre de Loïc ARTIAGA et Matthieu LETOURNEUX est richement illustré ( photos, copies de correspondances et de documents administratifs, reproductions de couvertures … ) pas seulement pour faire joli, les légendes sont habilement rédigées et constituent des compléments d’informations détaillées et utiles. Je ne résiste pas à l’envi d’évoquer les dessins de Michel Gourdon qui ont largement contribué à attirer l’œil des lecteurs sur les couvertures de multiples romans chez Fleuve.

Les temps changent, la fin du récit de Loïc ARTIAGA et Matthieu LETOURNEUX raconte les nouvelles mutations qui ont modifié au tournant des années 1990 le visage de l’édition. Il reste que l’âge d’or de l’édition populaire de l’après-guerre a profondément influencé non seulement le monde de l'édition mais aussi d’autres médias.

Loïc ARTIAGA et Matthieu LETOURNEUX – "Aux origines de la pop culture. Le Fleuve noir et les Presses de la Cité au cœur du transmédia à la française, 1945 – 1990". Parution le 3 novembre 2022, Éditions La Découverte. ISBN  9782348074738.
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25 février 2023 6 25 /02 /février /2023 08:45
Carlo LUCARELLI  -  "L'été trouble"

Début septembre 1945, la guerre est finie et l’Italie se retrouve face à elle-même. C’est l’heure des règlements de comptes, les partisans exécutent les fascistes les plus virulents, des femmes sont tondues. L’été 1945 est trouble. De Luca a changé de nom. Il est en fuite, seul dans la campagne entre Bologne et Ravenne où il croise Leonardi, brigadier de la Police partisane. Leonardi est bavard et plutôt sympathique. Il croit reconnaître le commissaire De Luca mais ce doit être une erreur car ce n’est pas le nom qui figure sur les papiers de cet inconnu seul, désorienté et apeuré. Peu importe, Leonardi l’emmène sur une scène de crime, une modeste famille de quatre personnes a été tuée à coups de bâton. Cet inconnu présente bien, il est sans doute ingénieur et capable de le conseiller. La Police va être réorganisée par les Carabiniers, résoudre une affaire non politique permettrait à Leonardi de se mettre en avant et de l’aider à intégrer la future Police.

Dans sa première enquête, De Luca était confronté aux notables italiens ( voir ICI ), il est désormais seul au milieu d’ex-partisans, des gens du peuple de la campagne italienne, des gens pauvres qui tentent d’entamer tant bien que mal la reconstruction du pays. Voler les riches pour donner aux pauvres fait partie de leur stratégie et De Luca doit découvrir les meurtriers d’une famille. De Luca trouve la situation totalement absurde, ce qui ne l’empêche pas de repérer nombre d’indices sur la scène de crime.

Il règne un air de normalisation en Italie, une ambiance que Carlo Lucatelli reconstitue habilement. C’est instructif, tout le monde pense à l’avenir et aspire à repartir de zéro sous l’œil de Carnera le héros de la résistance plus craint que respecté. De nouvelles rivalités politiques apparaissent et tout le monde sait que le Maire Savioli va s’opposer à Carnera. Des fortunes disparaissent et réapparaissent ailleurs comme par enchantement. Mais c’est pour investir, pour l’avenir.

Les portraits dressés par l’auteur sonnent justes. De Luca progresse dans son enquête et rencontre de nouvelles personnes et toutes ont envi de tourner la page et d’oublier. L’heure de la vengeance est vite passée. Même Francesca, celle que l’on surnomme la Tedeschina et qui a été tondue, a repris une vie normale. De Luca n’a aucun moyen technique pour faire progresser son enquête. Tout repose sur sa perspicacité et ses questions rares et habiles. Il voudrait bien passer inaperçu et surtout que son passé ne refasse pas surface. Tout est psychologie dans ce roman. Plus la vérité se rapproche, plus elle attire De Luca et plus elle effraie Leonardi. Mais pour De Luca il n’y a qu’une seule vérité et quelle qu’elle soit elle doit être découverte. En procédant ainsi il n’estime pas faire son devoir mais seulement son métier et c’est comme cela qu’il a toujours travaillé.

Carlo LUCARELLI – L’été trouble . Titre original « L’Estate torbida » ( Italie – 1991 ). Traduit de l’italien par Arlette Lauterbach pour la  Série Noire des Éditions Gallimard, parution septembre 1999 . ISBN 9782070497867

Bibliographie de l'auteur ICI  

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19 février 2023 7 19 /02 /février /2023 17:44
Carlo LUCARELLI  -  "Carte blanche"

J’ai été impressionné par la qualité de ce court roman ( 130 pages ). Il mêle habilement une bonne enquête, crédible et rondement menée, et surtout un contexte historique explorant en Italie la fin de la sombre période mussolinienne. Ce contexte n’est pas développé à outrance, Carlo Lucarelli se contente d’une esquisse qu’il m’a été agréable d’approfondir par des recherches personnels. Attiser la curiosité est une qualité peu fréquente dans un roman.

Bologne, avril 1945. Rehinard, un personnage sulfureux a été assassiné dans son luxueux appartement, vraisemblablement à l’aide d’un coupe-papier. Le commissaire De Luca de la Préfecture de Police est sur la scène de crime, c’est sa première affaire dans sa nouvelle affectation. Il va faire équipe avec l’adjudant Pugliese. D’emblée De Luca montre un sens de l’observation perçant et d’excellentes capacités de déduction. L’enquête ne va pas s’enliser, c’est certain, d’autant plus que sa hiérarchie lui donne carte blanche.

Plus passionnant encore que l’enquête, il y a le contexte historique italien et plus intrigant encore, il y a le passé de De Luca. En peu de mots, par petites touches, Carlo Lucarelli dresse le portrait de la République sociale italienne, héritière agonisante des années de pouvoir du Parti National Fasciste, sinistre Faisceau dont le représentant à Bologne exhorte De Luca lorsque l’enquête lui est confiée «Commissaire De Luca ! hurla-t-il, l'Italie fasciste vous regarde ! Saluto al Duce ! ». A l’époque le Duce ne peut que constater l’avancée inexorable des troupes alliées, il ne dirige même plus les territoires de ce qui est également appelé la République de Salò du fait de l’occupation implacable des nazis allemands. Les attentats des Partisans sont fréquents. Le Comité de Libération Nationale a commencé à ficher ceux qui ont soutenu et collaboré avec le fascisme. Il est temps pour les notables de manœuvrer pour changer de camp. Désormais il y a ceux qui ont peur et d’ultimes fanatiques antisémites traquant les dégénérés, les canailles et francs-maçons, le coupable du meurtre de Rehinard est parmi ces derniers, cela a été imposé à De Luca.

De Luca n’a pas encore sa carte de la Préfecture de Police. Il a celle d’avant, celle où il avait le grade de commandant de la brigade Ettore Muti, Section Spéciale de la Police Politique. Il y a eu jusqu’à seize polices différentes à cette époque, regroupées dans une structure unique, l’OVRA, pour une surveillance et une répression politique tentaculaires. De Luca se défend d’en avoir été un membre actif. Il n’a fait que son travail et il estime l’avoir bien fait. Il a obéi aux ordres. De Luca a été un policier et reste un policier avant tout mais il a peur. Il voit un monde s’effondrer et il devine que le coupable qu’il va démasquer ne correspond pas à celui que les derniers irréductibles fascistes ont imaginé.

Le début de la série De Luca est enthousiasmant. L’amateur de polar que je suis y trouve son compte avec une enquête bien construite, complexe mais pas trop, les protagonistes sont peu nombreux, parmi eux Valeria joue bien son rôle de femme fatale. Le contexte historique est d’une richesse inouï, à la fois propice à embrouiller l’enquête de De Luca et instructif pour les lecteurs qui ne seraient pas familiers de cette page noire de l’Histoire italienne.

Carlo LUCARELLI – Carte blanche . Titre original Carta bianca ( Italie – 1990 ). Traduit de l’italien par Arlette Lauterbach pour la  Série Noire des Éditions Gallimard, parution septembre 1999 . ISBN 9782070497867

Bibliographie de l'auteur ICI  

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15 février 2023 3 15 /02 /février /2023 17:49
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Carlo Lucarelli est un auteur italien né en 1960. Quelques romans policiers et des polars historiques caractérisent ses publications avec en toile de fond la société italienne du 20ème siècle. J’ai failli lire la trilogie « Colaprico et  Ogbà », histoire alléchante et dépaysante de deux enquêteurs ( un carabinier et son adjoint abyssin ) dans la colonie italienne d’Erythrée à l’aube du 20ème siècle. J’aurai pu suivre les enquêtes de Grazia Negro, une jeune inspectrice qui va collaborer avec le commissaire Montalbano ( roman écrit à quatre main avec Andrea Camilleri ). J’ai finalement choisi une autre époque de l’Histoire italienne, celle qui a vu le fascisme et Mussolini diriger l’Italie, période noire comme les chemises portées par la milice avec laquelle le Duce a imposé son pouvoir absolu.

La série « Commissaire De Luca » a vu le jour au début des années 1990 avec trois titres traduits en français ( Gallimard – 1999 ). Carlo Lucarelli a donné une suite à cette trilogie seulement en 2017, le retour du commissaire De Luca est publié en français par les Éditions Métailié depuis 2021. Une longue absence du commissaire De Luca à l’image de celle qu'a connue Bernie Gunther après la parution de la Trilogie berlinoise.

De Luca a servi dans la police criminelle et dans la police politique lorsque le fascisme dirigea l’Italie ( dictature puis République de Salò ). Carlo Lucarelli met en scène son héros durant cette période mais aussi jusque dans les années 1950, une manière d’étudier les conséquences du fascisme dans la société et les institutions italiennes. La ville de Bologne est le cadre principal des enquêtes du commissaire De Luca.

                    Série commissaire De Luca :

- Carte blanche ( voir ICI )

- L’été trouble ( voir ICI )

- Via delle Oche ( voir ICI )

- Une affaire italienne ( voir ICI )

- Péché mortel ( voir ICI )

- Un titre non traduit paru en Italie ( 2020 )

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