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Dror MISHANI - Au ras du sol ( Journal d’un écrivain en temps de guerre )

12 Mai 2025 , Rédigé par mille et une histoires Publié dans #Histoire contemporaine ( 21ème siècle )

Dror MISHANI - Au ras du sol ( Journal d’un écrivain en temps de guerre )

L’attaque terroriste du Hamas venue de la bande de Gaza en octobre 2023 a déclenché une offensive militaire implacable de l’armée israélienne contre les territoires palestiniens. Qu’est alors devenue la vie quotidienne en Israël ? Dror Mishani écrivain israélien de polars et de romans noirs ( voir ICI ) raconte ce qu’il a vécu et vu durant les six premiers mois du conflit. Il vit à Tel-Aviv avec sa femme, son fils et sa fille, deux ados.

Dror Mishani est le témoin de l’entrée en guerre de son pays aussitôt après l’attaque du Hamas. Des procédures soigneusement préparées, longtemps à l’avance, mises en œuvre avec efficacité et respectées. Implacable machine de guerre. L’auteur professeur d’université voit beaucoup de ses étudiants mobilisés. La plupart des familles israéliennes possèdent une chambre forte dans leur logement, des vivres y sont stockés avec une radio à piles pour écouter les consignes en cas de coupure d’électricité totale et longue. Les zones bordant Gaza ont été intégralement évacuées de leur populations. L’armée de l’air israélienne a riposté, l’offensive terrestre de Tsahal est attendue. Tout faire pour les otages.

Rien n’échappe au regard de Dror Mishani, du sort des SDF en passant par le manque de came pour les toxicos. Il participe aux travaux dans les champs pour aider à produire des légumes. « Observer les petits détails, rester au ras du sol ». Il voit la propagande s’installer. Il sent la censure sévir.  Suspicion vis-à-vis des personnes de type arabe. Repérer ceux qui ne soutiennent pas assez Israël. Repli sur soi, échanges par WhatsApp. Peur que le Hezbollah attaque le nord d’Israël. Incertitude vis-à-vis de l’Iran. L’arme nucléaire tactique pour se rassurer et des sociétés de sécurité privée pour se protéger. L’écrivain Dror Mishani voudrait écrire. Un article dans la presse. Une nouvelle plutôt qu’un roman. La littérature pour passer le temps, prendre du recul, relire l’Illiade récit d'une guerre entre grecs et Troyens.

Le récit de Dror Mishani s’achève en mars 2024. Le quotidien des israélien a été profondément modifié et progressivement une nouvelle routine s’installe. Il s’interroge sur la cohabitation future entre palestinien et israélien. Il est convaincu que la guerre va durer. Le surlendemain de l’attaque du Hamas, il écrivait cette phrase : « Il est évident que le mal causé dans cette enclave détruite ou affamée nous reviendra en pleine face, décuplé, dans un, deux ou cinq ans ».

Dror MISHANI – Au ras du sol. Parution 6 mars 2025. Éditions Gallimard. Traduit de l’hébreu par Laurence Sendrowiz . ISBN 9782073105103 .

Présentation éditeur : Le matin du 7 octobre 2023, à Toulouse, Dror Mishani découvre le message de sa femme : « Bonjour, ici, c’est un sacré bordel. » Il envisage tout, sauf cette attaque du Hamas… Dans l’avion qui le ramène à Tel-Aviv, il commence à rédiger un article : « Peut-être faut-il reconnaître la puissance du coup porté et la profondeur de notre douleur, reconnaître la défaite, ne pas essayer de l’escamoter sous ce qui aura l’air, à court terme, d’une victoire, mais qui ne sera qu’un engrenage de souffrances. »
Ces lignes sont au cœur d’un journal intime qui décrit, pendant six mois, la vie quotidienne en temps de guerre et expose les sentiments complexes d’un père de famille israélien marié à une Polonaise catholique ; un intellectuel pacifiste passant, aux yeux de certains proches, pour un traître ; un romancier écrasé par la politique qui craint de ne plus jamais pouvoir écrire et qui, pour ne pas sombrer, « cherche refuge dans la lecture des catastrophes des autres » — Natalia Ginzburg, Italo Calvino, Stefan Zweig, Emmanuel Carrère...

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Gilles BOYER - Petit-Clamart

15 Avril 2025 , Rédigé par mille et une histoires Publié dans #histoire des 19 et 20èmes siècles

Gilles BOYER  -  Petit-Clamart

Petit-Clamart est connu pour l’attentat raté contre le Général de Gaulle le 22 août 1962. Et si ce jour-là le Président de la République française avait été assassiné ? C’est ce qu’imagine Gilles Boyer dans une uchronie très crédible sur les conséquences de cette disparition grâce à sa parfaite connaissance de la Vème République, de ses institutions et des personnalités politiques qui l’ont marquée.

La disparition brutale du Président de la République en exercice, du Général de Gaulle de surcroit, crée un vide sidéral. Mais les institutions continuent de vivre à travers le Premier ministre Georges Pompidou et le président du Sénat, Gaston Monnerville élu de Guyane, qui assure l’intérim de la présidence de la République jusqu’à l’élection présidentielle qui aura lieu dans les 50 jours, c’est ce que prévoit la Constitution.

Les français sont abasourdis. Une jeune ado, Anne, 14 ans ne s’est jamais intéressée à la politique. Elle se pose plein de questions. Son grand-père va l’aider à comprendre ce qui se passe et surtout le bouleversement politique qui va inévitablement suivre.

Gilles Boyer est écrivain mais aussi un homme politique expérimenté, élu européen et ancien conseiller du Premier ministre Édouard Philippe. Ses portraits sont justes, il n’élude pas les rivalités politiques et la période de transition vers les élections présidentielles sonne juste. Petite précision, en août 1962, le Président de la République n’est pas encore élu au suffrage universel mais par un collège de grands électeurs.

Le récit de Gilles Boyer ne manque pas de suspense avec des candidats naturels qui tardent à se déclarer. Pompidou entre en campagne électorale bien qu’il ne soit pas un politique expérimenté, le président du Sénat hésite. Les candidats doivent convaincre des élus, ils doivent bénéficier d’un ancrage territorial. Il y a des combines. Toutes les voix comptent, y compris celles de la France rurale. Les coups bas pleuvent. De jeunes politiques se placent, Giscard est de ceux-là. Et puis il y a les hommes de l’ombre qui restent dans le secret comme Foccart et Sanguinetti. La jeune Anne cherche à comprendre, son rôle de candide est salvateur dans ce roman. Les réponses de son grand-père l’aident à comprendre et le lecteur profite des éclaircissements.

L’assassinat de de Gaulle n’est pas perdu de vue. Il y a une enquête menée par le commissaire divisionnaire Bouvier. La classe politique veut des résultats rapides. Les français aussi, ils imaginent des complots. Bouvier sent qu’on lui met des bâtons dans les roues. Un suspect est arrêté ( le même que celui qui a raté sa cible dans la réalité ) mais son travail ne s’arrête pas à cette arrestation, il reste des zones d’ombre, des complicités à découvrir.

Un nouveau Président de la République est élu. L’habileté de Gilles Royer réside dans le fait que peu-à-peu l’Histoire reprend un cours presque normal. L’uchronie disparait, les hommes politiques sont à la place qu’ils ont occupée dans la réalité. La confusion provoquée par la mort de de Gaulle s’est dissipée, grâce à la démocratie et malgré de jeunes institutions ce qui prouve leur solidité. Les combats politiques reprennent avec des noms bien connus de nos jours. Gilles Boyer sait raconter des histoires, il connait son sujet et les hommes qui ont fait la politique de l’époque et cela lui permet de mettre en avant ceux qui vont compter et de bâtir un récit crédible et passionnant, fertile en suspense et rebondissements. L’ambiance des années 1960 est très bien reconstituée, c’était l’époque d’Intervilles à la télé, du quotidien France Soir, de la fraternité d’armes issue de la Résistance et des dangers que faisait planer l’OAS. Uchronie et Histoire peuvent faire bon ménage.

Gilles BOYER – Petit-Clamart . Parution octobre 2024 , Éditions JC Lattès . ISBN 9782709672030.

Présentation éditeur : Le 22 août 1962, au carrefour du Petit-Clamart, la DS noire du Général de Gaulle est prise dans une embuscade.
L’Histoire bascule parfois pour quelques centimètres ou quelques secondes.
Et si, ce jour-là, les balles avaient atteint leur cible ?
Et si la jeune Ve République avait dû, en quelques jours, traquer les assassins, éviter un coup d’État, élire un nouveau Président ? Un thriller passionnant, une uchronie politique et sociale, une plongée dans la France des années 60 aux résonances contemporaines fascinantes.

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Éric DECOUTY - La femme de pouvoir

3 Avril 2025 , Rédigé par mille et une histoires Publié dans #roman noir, #histoire des 19 et 20èmes siècles, #Polar historique

Éric DECOUTY - La femme de pouvoir

Simon Kaspar est un jeune inspecteur passionné par son travail à la Brigade mondaine. Ce n’est pas le service le plus prestigieux de la Préfecture de Police au quai des Orfèvres à Paris mais il s’y plait. Des erreurs de jeunesse n’ont pas altéré son enthousiasme et il garde la confiance de ses chefs. Nous sommes en 1973, la Mondaine est chargée de surveiller, contrôler et réprimer ( parfois seulement tolérer ) toutes les activités essentiellement nocturnes liées au sexe et à la prostitution et accessoirement collecter pour le pouvoir en place des informations sur d’éventuels vices cachés de personnalités.

Une prostituée a été sauvagement assassinée, l’enquête n’est pas pour la Mondaine mais pour la Crim’. Cependant Kaspar s’intéresse à ce meurtre qui n’est pas isolé. Il y en a eu d’autres par le passé, même mode opératoire. La mort violente d’une prostituée intéresse peu sauf Kaspar qui en flic perspicace et tenace se renseigne, fouille dans les archives, découvre des incohérences dans les enquêtes officielles. Kaspar agit en solo, sans se presser, une sorte de quête personnelle.

D’Éric Decouty j’ai lu «L’affaire Martin Kowal» ( voir ICI ) paru après « La femme de pouvoir ». Martin Kowal, jeune flic des Renseignements Généraux enquêtait du temps de Giscard d’Estaing et découvrait des scandales liés à la politique étrangère française. Avec Simon Kaspar, l’auteur explore les années Pompidou et ses scandales politiques. L’époque se révèle propice au culte du secret avec des officines comme le SAC. Mais il y en avait d’autres en lien avec la DST et plus spécialement chargées de savoir, de percer les secrets des autres, d’écouter ses adversaires, poser des micros. Ecouter Le Canard enchaîné. Ecouter Mitterrand. Traquer les gauchistes.

Simon Kaspar est aux premières loges pour croiser un des secrets de Pompidou qui veut se venger de ceux qui ont voulu l’atteindre avec l’affaire Markovic. Un nom revient sans cesse lorsqu’on travaille à la Mondaine : celui de La Rouquine aussi surnommée Madame Lucienne ou Madame Hélène « … petite pute juive devenue mère maquerelle. L’indic de Paris la plus mise à contribution, et la plus grande corruptrice de flics et du reste … ».

Éric Decouty offre au lecteur autant un roman policier qu’un récit historique et qu’une investigation journalistique à laquelle il emprunte son style, direct et précis. Il n’élude rien, va au fond des choses et met en scène les célébrités de l’époque, pas seulement politiques, impliquées dans des affaires complexes, mélange de corruption, de manipulation et de déstabilisation, qui trouvent leurs racines dans une époque ( l’occupation et la collaboration ) qui n’en finit pas d’engendrer des divisions, des rancoeurs et des règlements de compte.

Éric DECOUTY – La femme de pouvoir . Parution mars 2022 , Éditions Liana Levi . ISBN 9791034905362.

Présentation éditeur : Paris, 1973. La Rouquine a étendu son empire dans tout Paris, de son bordel de luxe jusqu’aux hautes sphères de l’État. Un jeune flic de la Brigade mondaine, en cherchant à enquêter sur des assassinats de prostituées non résolus, va se heurter à cette figure de l’ombre. Rien n’a préparé Simon Kaspar, entré au prestigieux 36 avec une seule idée en tête – élucider par lui-même le meurtre de sa mère –, à affronter les réalités les plus troubles en ces derniers mois de la présidence de Pompidou. Un univers fait de coups tordus, d’écoutes illégales, de manipulations, où tout ramène sans cesse à la Rouquine. Celle à qui les chefs du Quai des Orfèvres ne refusent rien. Celle qui intéresse un commissaire des services secrets pour son rôle dans des opérations de déstabilisation. Celle dont le compagnonnage avec la police aurait débuté en 1943, quand l’heure était aux rafles de Juifs et de résistants FTP-MOI…

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Xavier BOISSEL - Fonds noirs

24 Mars 2025 , Rédigé par mille et une histoires Publié dans #roman noir, #histoire des 19 et 20èmes siècles

Xavier BOISSEL - Fonds noirs

Ce roman est le troisième titre de ce qui est à ce jour une trilogie de romans noirs politiques commencée en 2017 avec « Avant l’aube » et le bien nommé Philippe Marlin, flic à la Crim’ et narrateur d’une enquête en 1966 et 1967 ( voir ICI ). Débuts de la Cinquième République, son bras policier privé le SAC et déjà des scandales politico-financiers. L’ambiance jazz est superbement reconstituée. Pour le maquis des Aunottes j'en fais mon préféré. Il y a eu en 2022 « Sommeil de cendre », ambiance 1974, la nuit Georges Lang parle rock ( voir ICI ). La narration est impersonnelle, l’inspecteur Eperlan de la Crim’ est confronté aux hommes de main de pourris qu’on pourrait croire sur le déclin mais qui renaissent de leurs cendres avides de nouveaux trafics.

Marlin a travaillé avec l’inspecteur Wouters, trois semaines de planque dans une affaire de drogue, trois semaines à s’apprécier sans se parler. L’inspecteur Eperlan est sous les ordres du commissaire Wouters malade. Eperlan se débrouille seul, il croise à quelques reprises le souvenir qu’a laissé Marlin.

1986, le commissaire Wouters de la Crim’ est en fin de carrière, mis au placard. Obsèques d’Eperlan. Fin de course. Affaires courantes. La broyeuse à papier était notre meilleure amie. C’était à se demander si elle ne finirait pas par nous avaler, elle aussi. Dans les quelques mois qu’il lui reste à tirer, Wouters va se consacrer à une énigme qui n’en est peut-être pas une. La jeune Anabelle est persuadée que son père ne s’est pas suicidé en se jetant par la fenêtre de son appartement au cinquième étage. Wouters raconte ses investigations officieuses. La Police a déjà fait le boulot, Lukasz Kowalski expert-comptable, proche du PS s’est suicidé. Pour démontrer le contraire, Wouters doit trouver des preuves, un mobile, des documents. Et ce ne sera pas facile, voire dangereux car un tueur a été chargé de tout verrouiller. Ce tueur, c’est Craven, Donner la mort. Il n’était bon qu’à ça, c’était la conclusion fatale à laquelle il était parvenu après son internement dans les hôpitaux militaires. La Guerre du Viêt Nam a traumatisé Craven comme la Guerre de Corée avait ébranlé Eperlan. Marlin était fier de ses combats dans la Résistance.

Wouters, Craven, deux personnages au bout du rouleau. Anabelle et son petit ami Éric ont déjà perdu toutes les illusions d’une jeunesse à peine entamée. Le cafard. Le temps perdait son enveloppe, se dénudait pour laisser entrevoir le pire. L’engagement politique d’Éric est devenu un chimérique combat d’arrière-garde. Le PS a déçu . Heureusement il y avait la musique.

Des ventes d’armes illégales, malgré un embargo, des obus vendus à l’ ennemi de l’allié de la France. Le pouvoir socialiste est trempé dans un énorme scandale qu’il a tenté d’étouffer. Il lui faut aussi cacher des rétrocommissions. Un scandale d’État à la française. Craven est là pour faire place nette et faciliter si nécessaire un non-lieu. Dernier recours possible, l’amnistie. Wouters touche au but mais c’est un modeste journaliste de province qui a fait le job.

Trois romans, trois septennats politiques. Combines politico-financières et violences perdurent. Du temps de Marlin et d’Eperlan, il y avait de la révolte. Lorsque la Justice s’effaçait, ces deux flics se faisaient justicier. Wouters se retrouve seul face à une vérité qui le dépasse et isolé dans une époque où la volonté de se battre semble révolue.

Xavier BOISSEL – Fonds noirs . Parution le 17 octobre 2024, Éditions 10 / 18 . ISBN 9782264083456 .

Présentation éditeur : Paris, 1986. Un expert-comptable tombe de la fenêtre de son appartement. Tout laisse à penser à un suicide, l’homme était nerveux et agité, mais sa fille refuse obstinément d’y croire. Une amie lui donne le contact de son oncle, Wouters, un pilier de la PJ, commissaire désabusé proche de la retraite, qui décide de l’aider. Rapidement, il décèle des coïncidences troublantes : une série de cambriolages dans le sillage du mort, un « accident » sur le chantier en face de son immeuble, mais surtout, sa proximité avec certains membres du parti socialiste, mêlés à une sombre histoire de vente illégale d’armes. Derrière ce décès anodin en apparence, Wouters risque bien de déterrer des secrets que certains politique paieraient cher pour laisser enfouis.   

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Karine GIEBEL - Et chaque fois mourir un peu , livre 2 "Trauma(s)"

17 Mars 2025 , Rédigé par mille et une histoires Publié dans #Histoire contemporaine ( 21ème siècle )

Karine GIEBEL - Et chaque fois mourir un peu , livre 2 "Trauma(s)"

C’est la suite immédiate du livre 1 ( voir ICI ), Grégory et Paul sont prisonniers des Taliban depuis octobre 2010. Ils sont entre les mains de geôliers tortionnaires, leur horrible détention est détaillée, pour Gregory elle va durer trois mois : le froid, la faim, perte de la notion de temps, simulacre d’exécution, solitude, peur, inaction. Grégory réussit à s’évader. En France il retrouve la liberté sans pouvoir en profiter pleinement car son ami Paul est encore détenu. Il ressent le besoin de s’enfermer, seul, dans le noir d’une cave.

Le rythme narratif de Karine Giebel va alors s’accélérer. Philippines, 2012. Soudan, 2014. Irak, 2016. Cisjordanie, 2018. Madagascar, 2019. 2020, la Covid, en France. Haut-Karabakh. Ukraine, 2022. Vente d’êtres humains. Boucliers humains. Attentats. Viol-esclavage sexuel comme arme de guerre. « Bienvenu en enfer » . Les chapitres sont de plus en plus courts. Les mêmes phrases reviennent sans cesse. Les missions de Gregory, les séjours en France sont comme des flash. Des flash de souffrance, lors de missions traumatisantes mais dès qu’il est chez lui de nouveaux malheurs s’acharnent incroyablement sur sa famille. La chronologie ne semble plus respectée. Retour en février 2011.

Karine Giebel abandonne l’aspect historique et les missions du CICR qui constituaient le fil conducteur du livre 1 pour consacrer son récit à la psychiatrie. Gregory a été interné dans une Unité pour Malades Difficiles ( UMD ) en novembre 2011. Tout s’écroule pour lui. « Mémoire morcelée. Puzzle » . « Son cerveau baigne dans une eau tiède et sale » . Isolement. Lit avec sangles. Hallucinations. Violence. Contention. Neuroleptiques, antipsychotiques, anxiolytiques. « Mon cœur a continué de battre, mon sang de couler dans mes veines. Mais la mort était en moi. Jour après jour, le blast a poursuivi son travail de destruction. Une bombe est tombée sur ma vie ». Paul reste dans les pensées de Grégory qui se souvient de bribes du passé, il imagine des portions de futur. Son présent est un monde parallèle. Il n’y a plus de vrai, plus de faux. Le lecteur subit également cette confusion.

Karine Giebel consacre 400 pages ( sur un total de 750 ) aux troubles du stress aigu post-traumatique subis par Grégory et dans une moindre mesure aux maux dont souffrent d’autres malades que Gregory côtoie. Le lecteur prend conscience d’une médecine psychiatrique impuissante, sous-équipée malgré l’existence des UMD. Ce roman psychologique est très bien documenté, éprouvant à lire. Le savoir écrire de l’auteure fait le reste pour maintenir le suspense, surprendre et bouleverser le lecteur.

Karine GIEBEL – Et chaque fois, mourir un peu . Livre 2 – Trauma(s) . Parution octobre 2024, Éditions Récamier Noir . ISBN 9782385771362 .

 Présentation éditeur : Avec Trauma(s), Karine Giebel met un point final à son roman Et chaque fois, mourir un peu.
Après des années sur le front sans arme ni gilet pare-balle, après des années à soigner les autres au péril de sa vie sous l'égide de la croix rouge internationale, après avoir pris de plus en plus de risques jusqu'au risque de trop, une autre guerre attend Grégory.
Lors d'une dernière mission en Afghanistan les rôles s'inversent : les humanitaires deviennent des cibles.
Après tous les combats qu'il a menés, Grégory va devoir sauver sa propre vie et celle de ses collègues…

Tu te souviens de ces victimes qui avaient survécu aux explosions. Leur corps était parfois intact. Pourtant, on ne pouvait pas les sauver. Parce qu’à l’intérieur, elles étaient déchiquetées.

Une bombe est tombée sur ma vie. Longtemps, je me suis posé cette question : ai-je survécu à l’explosion ? Aujourd’hui, j’ai trouvé la réponse …

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Karine GIEBEL - Et chaque fois mourir un peu , livre 1 "Blast"

13 Mars 2025 , Rédigé par mille et une histoires Publié dans #histoire des 19 et 20èmes siècles, #Histoire contemporaine ( 21ème siècle )

Karine GIEBEL - Et chaque fois mourir un peu , livre 1 "Blast"

Depuis sa publication chez Fleuve noir il y a 15 ans, les romans de Karine Giebel ont souvent attiré mon attention d’autant plus que son lectorat souvent enthousiaste allait grandissant. La curiosité m’a fait franchir le pas, je viens de lire les deux tomes de « Et chaque fois, mourir un peu », 1200 pages au total.

Grégory Delaunay et Paul Schmid ont commencé à travailler ensemble en février 1994 dans un hôpital de Sarajevo durant la guerre en Bosnie-Herzégovine. Paul est un jeune chirurgien suisse « Tantôt généraliste, psychiatre ou chirurgien de guerre, tantôt administrateur hors pair ou clown pour les enfants hospitalisés, il est prêt à relever tous les défis, à assumer toutes les responsabilités. Outre ses talents de médecin, Paul est doué d’une extraordinaire empathie, d’un humour ravageur et d’une humilité incroyable ». Grégory est un infirmier français. Après une longue préparation il a effectué sa première mission pour le Comité International de la Croix Rouge ( CICR ) dans un hôpital du Nord Kenya à la frontière avec le Soudan « Et puis il y a eu le choc frontal…La guerre, la vraie, dans toute son horreur». Les missions pour le CICR réunissent Grégory et Paul. Le Rwanda en 1995. La Tchétchénie en 1996 et 1997

Karine Giebel fait défiler le temps à une vitesse folle. Style précis, incisif, des mots soigneusement choisis, une concision d’une rare efficacité, des précisions et des détails lorsqu’il faut. En quelques phrases elle décrit la situation géopolitique et historique des zones de conflit, le désastre humanitaire, la souffrance et l’abnégation des personnels du CICR face aux choix déchirants de la médecine de guerre et humanitaire. Le lecteur imagine aisément le sang, les larmes, la souffrance, la mort. La lecture devient vite éprouvante non seulement à cause d’un vocabulaire « sanglant » mais aussi parce que Karine Giebel révèle raconter la vérité. Elle a effectué de minutieuses recherches historiques dans les archives du Comité international de la Croix Rouge ( CICR ).

Grégory supporte de moins en moins sa vie en France. Il y a pourtant une famille, sa mère Chantal, sa compagne Séverine et sa petite fille Charlène. Son poste à l’hôpital de Digne l’ennuie, les images de la souffrance et de la mort le hantent et l’attirent. Lorsque Paul lui propose une nouvelle mission, il accepte, comme un soulagement.

Bosnie-Herzégovine, 1997 . Colombie, 1999 . Ingouchie, 2000 . Srebrenica, 2001. Casamance, 2002. Libéria, 2003. Enfants soldats, mines, bombes, tortionnaires, épidémies, séismes. Litanie de phrases ( souvent les mêmes ) exprimant la souffrance : » Si tu savais, mon amour … Si tu savais combien j’ai mal. Combien chaque respiration me plonge dans la douleur» . « Aujourd’hui, le couvercle de ma sépulture s’est ouvert » . J’ai souvent été gagné par la lassitude face à cet inventaire de souffrances mais il faut reconnaitre le talent de Karine Giebel pour relancer l’intérêt du lecteur, surprendre et maintenir le suspense en interrompant ses récits lorsque la tension est maximale. Je me suis aussi étonné face à la capacité de Gregory à encaisser, certes non sans vaciller, autant d’horreurs.

Grégory n’est pas épargné par le malheur lorsqu’il revient chez lui dans les Alpes-de-Haute- Provence. Sa vie personnelle est une suite interminable d’épreuves. Dès l’âge de 12 ans il a perdu son père tué dans un accident de voiture. Il n’en finit pas de devoir se reconstruire en permanence. En juin 2000 Grégory refait sa vie avec Zina et son jeune fils Anton réfugiés tchétchènes. Il considère Anton comme son propre fils et mène lorsqu’il est en France un travail éprouvant pour panser les séquelles psychologiques que le jeune garçon a subi durant sa courte vie dans son pays natal.

Cachemir, 2005. Province du Kivu au Congo, 2006 et 2007. Bande de Gaza, 2009.

Au CICR il y a des tests, Grégory doit entamer une psychothérapie. « Enfoiré de merde ! Putain de toubib à la con ! Je suis pas fou, pauvre connard ! » Neuroleptiques et anxiolytiques. Phobies, fuir les gens, cauchemars, angoisse, abattement, exaltation. Mais Gregory a la perspective presque salvatrice ou pour le moins réparatrice de bientôt repartir en mission « Ça ne finira jamais. La pourriture est à l’intérieur de l’humain, comme le ver dans le fruit ».

La situation au Congo est détaillée. Un massacre sanglant, des tortures psychologiques. Vacciner, amputer, réparer les femmes violées. Gregory travaille avec le docteur Denis Mukwege futur Prix Nobel de la paix. Le livre 1 de « Et chaque fois, mourir un peu » s’achève en octobre 2010, Grégory et Paul sont faits prisonniers par les talibans.

J’ai bien aimé l’Histoire et la mise en avant de catastrophes humanitaires et le récit du travail à la fois immense et dérisoire du CICR pour atténuer les blessures des survivants. Avec un style narratif venu tout droit du thriller, Karine Giebel réussit à raconter l’Histoire avec talent. Le personnage de Grégory est central, son portrait est approfondi notamment à travers les effets psychologiques conséquences des horreurs professionnelles et personnelles vécues et qui progressivement et insidieusement le font vaciller comme sous l’effet d’ondes de choc et de souffles ou BLAST comme le sous-titre de ce livre 1.

Karine GIEBEL – Et chaque fois, mourir un peu . Livre 1 – Blast . Parution mars 2024, Éditions Récamier Noir . ISBN 9782385770358 .

Présentation éditeur : Monter au front sans arme ni gilet pare-balles. Soigner les autres au péril de sa vie. Se sentir utile en ce monde.
De Sarajevo à Gaza, en passant par Grozny, la Colombie ou l'Afghanistan, Grégory se rend au chevet des sacrifiés sous l'égide de la Croix-Rouge internationale. Chaque victime sauvée est une victoire sur la folie des hommes. Chaque vie épargnée donne un sens à la sienne. Peu importe les cicatrices et les plaies invisibles que lui laisse chaque conflit.
Poussé par l'adrénaline, par un courage hors du commun et par l'envie de sauver ceux que le monde oublie, Grégory prend de plus en plus de risques.
Jusqu'au risque de trop. Jusqu'au drame...
Ne pas flancher, ne pas s'effondrer. Ne pas perdre la raison.
Choisir.
Sauver cette jeune fille, condamner cet adolescent. Soigner ce quadragénaire, laisser mourir cet enfant.
Choisir.
Endurer les suppliques d'une mère, d'un père.
Certains tombent à genoux devant lui, comme s'il était Dieu.
Choisir.
Tenter de sauver cette femme. Sacrifier sa petite fille qui n'a que peu de chances de survivre à ses blessures.
Choisir.
Et chaque fois, mourir un peu.

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Rémi CARAYOL - Mayotte. Département colonie

10 Mars 2025 , Rédigé par mille et une histoires Publié dans #Livres d'histoire, #histoire des 19 et 20èmes siècles

Rémi CARAYOL - Mayotte. Département colonie

Le plus jeune département français fait parler de lui et j’ai souhaité en savoir un peu plus, comprendre la situation actuelle. Ce livre de Rémi Carayol est très complet d’un point de vue historique et socio-économique mais il aurait mérité un plan plus détaillé pour gagner en clarté et pour retenir les points essentiels. Rémi Carayol est critique sur le statut actuel de Mayotte alors que le reste de l’archipel des Comores est indépendant.

J’ai retenu deux grandes étapes historiques de Mayotte ( l’auteur emploie « Maore » le nom comorien de cette île ). Elle fait partie d’un petit archipel de quatre îles situées entre Madagascar et le Mozambique. D’après les sources reconnues, son peuplement venu d’Afrique puis l’islamisation datent des 8ème et 11ème siècles. La France prend possession de Maore en 1841 puis de l’ensemble de l’archipel en 1904 qui devient en 1946 officiellement un Territoire d’Outre-Mer français. Il est facile de suivre cette longue période, évolution classique du peuplement insulaire de territoires éloignés de l’Ancien Monde puis incorporation dans un empire colonial bâti sans logique autre que la rivalité entre puissance.

L’époque moderne est bien plus complexe et cela se ressent sur le récit de l’auteur qui peine à ressortir une idée directrice autre que la concrétisation d’une toute puissance coloniale au détriment du colonisé dominé. La position des politiques métropolitains a été clivante et changeante : je retiens la vision de Giscard d’Estaing avec les Comores unies et un lobby gaulliste nostalgique d’un vaste empire coloniale français. A la même époque, la France est expulsée de Madagascar, cela va faire grandir l’intérêt stratégique et militaire pour ces îles et tout particulièrement Maore. D’un point de vue politique la confusion règne autant au niveau métropolitain que localement où aucun consensus fédérateur n’émerge. Les actes de l’aventurier-mercenaire Bob Denard ne contribuent pas à la stabilité de l’archipel tout comme son utilisation par la France comme base-étape pour la vente d’armes au régime d’apartheid de l’Afrique du Sud alors sous embargo. Actuellement l’ONU n’a toujours pas reconnu officiellement la partition de l’archipel.

Maore est le 101ème département français depuis 2011, une date très tardive par rapport à d’autres départements d’Outre-Mer. Cela explique un retard économique et social source de grande pauvreté et d’inégalités expliquant les tensions et divisions locales actuelles.

L’état des lieux dressé par Rémi Carayol est très complet mais souffre de passages historiques confus. La situation sociale actuelle est par contre très bien exposée.

Rémi CARAYOL – Mayotte. Département colonie . Parution octobre 2024, La fabrique éditions. ISBN 9782358722858.

Présentation éditeur : Il y a cinquante ans, la population de l’archipel des Comores était invitée à se prononcer sur le statut de son territoire. Si trois des quatre îles votèrent massivement pour l’indépendance, Mayotte (Maore), où un courant sécessionniste animé par l’élite créole exerçait un puissant lobbying, vota contre, tandis qu’à Paris l’armée et le « parti colonial » encore très puissant ne voulaient pas perdre cette position stratégique dans l’océan Indien. La France accorda donc l’indépendance aux Comores mais conserva Mayotte, devenue en 2011 le 101e département français à l’issue d’un processus unique de « colonisation consentie ».

Tout renvoie à la colonie sur cette île : les ghettos de Blancs, la hiérarchisation raciale au travail comme dans la vie quotidienne, la dépendance économique envers la « métropole », les défaillances des infrastructures mises en lumière par les récentes pénuries d’eau… Entre des Mahorais reniant leur passé pour être « français à tout prix », dont la dérive vers l’extrême droite semble sans fin, des « métros » qui se comportent en terrain conquis et cultivent l’entre-soi, et des Comoriens devenus « étrangers » par l’effet d’une politique d’État délibérée, la violence à Mayotte est le résultat d’un double processus de dislocation et de colonisation. Ce livre raconte les principaux épisodes de cette histoire et dresse un portrait sans concession de « Mayotte française » et du présent colonial qui continue de l’animer.

Merci à La fabrique éditions .

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Freddy VINET - Pétrole meurtrier

6 Mars 2025 , Rédigé par mille et une histoires Publié dans #histoire des 19 et 20èmes siècles, #Polar historique

Freddy VINET  -  Pétrole meurtrier

Mai 1933, André Bravard ingénieur des pétroles à l’Office National des Combustibles Liquides est nommé chef d’exploitation à Gabian dans l’Hérault où est extraite de l’huile de pétrole, sa mission est très particulière et délicate, son directeur lui demande d’éclaircir le mystère de la disparition en 1928 de Guillaume Dollfuss un ancien responsable de l’exploitation pétrolière en Languedoc. Dollfuss a disparu sans laisser de trace. A-t-il fuit à l’étranger ? A-t-il été assassiné ?

En 1933 l’extraction de pétrole à Gabian touche à sa fin après avoir été en 1924 le plus gros gisement de France. Les espoirs s’amenuisent, la France ne sera pas un eldorado du pétrole, c’est en Mésopotamie qu’il coule à flot. Mais on a cru au pétrole français dans les années 1920. Le roman de Freddy Vinet est une mine de renseignements sur le gisement de Gabian et sur celui de Pechelbronn en Alsace lui aussi sur le déclin. Les investissements ont été importants, bouleversant la vie locale. Et puis la production s’était rapidement révélée dérisoire face à l’augmentation des besoins. Prospection novatrice, formations spécifiques, tout a été fait pour que la France soit à la pointe de l’exploitation et du traitement de cette matière première stratégique. Mais il manquait la ressource.

L’enquête de Bravard n’est qu’un prétexte pour explorer l’Histoire du pétrole français des années 1920 - 1930. C’est une véritable reconstitution économique, politique et sociale, facile d’accès, agréablement racontée. Freddy Viney ne perd jamais de vue l’enquête de son héros dans ce qui est un polar historique passionnant. Rien ne manque depuis les rivalités politiques nationales, l’industrialisation sauvage, les propriétaires ruraux spoliés, les inégalités salariales, la condition féminine. Les conditions de travail surprennent car l’exploitation se faisait dans des galeries souterraines profondes. Les raisons expliquant l’assassinat de Dollfuss qui était un dirigeant ambitieux, manipulateur et méprisant  ne manquent pas.

Ce roman policier historique de Freddy Vinet est une belle lecture, instructive et agréable dans tous les sens du terme puisque l’impression est intégralement faite sur papier glacé.

Freddy VINET – Pétrole meurtrier . Parution juin 2024 , Éditions Auteurs d’Aujourd’hui . ISBN 978-2-37629-206-7 .

Présentation éditeur : Paris. Mai 1933. André Bravard est ingénieur des pétroles à l'Office National des Combustibles Liquides. Il ronge son frein dans un bureau parisien en rêvant d'un poste en Mésopotamie mais son directeur l'envoie enquêter à Gabian. Là, cinq ans auparavant, en 1928, dans une petite exploitation pétrolière du Languedoc, Guillaume Dollfuss, ancien ingénieur des mines de pétrole de Pechelbronn en Alsace, a disparu mystérieusement.
L'intrigue de cette affaire judiciaire classée se situe dans des décors bien réels, ceux des gisements pétroliers de Gabian dans l'Hérault et de Pechelbronn dans le Bas-Rhin, deux de ces Ovni économico-historiques de l'entre-deux-guerres quand la ressource d'hydrocarbure de cette période industrielle était propice à toutes les convoitises. Que révèlent les investigations de l'enquêteur ? Fuite ? Suicide ? Assassinat ? Les ruses des manipulateurs parviendront-elles à vaincre la sagacité et la pugnacité de l'ingénieur Bravard ? Du Languedoc à l'Alsace et au Moyen-Orient, réussira-t-il à résoudre l'énigme de cette disparition ?

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Benjamin DIERSTEIN - Bleus, blancs, rouges

24 Février 2025 , Rédigé par mille et une histoires Publié dans #histoire des 19 et 20èmes siècles, #roman noir, #Coups de coeur

Benjamin DIERSTEIN  -  Bleus, blancs, rouges

Ce roman, c’est du lourd, presque 800 pages avec un prologue grandiose : le récit du 24 mai 1968 ? Le fracas et le confusion dans les rues parisiennes. Des messages radio qui crient l’impuissance des forces de police. Un tumulte porte ouverte à toutes les violences et fantasmes. Une explosion va avoir de multiples répercussions.

Dix ans après que reste-t-il de mai 68 en France ? Benjamin Dierstein nous montre sa vision du pouvoir, de la politique et de la criminalité. Il s’empare d’évènements et de personnages réels, il raconte, il romance en s’entourant de personnages fictifs et l’ensemble est d’une force incroyable. Parfois avec gravité, souvent avec une bonne dose d’humour noir, Benjamin Dierstein parle de scandales d’état, de guerre des polices et des gangs, de collusion entre politique et criminalité, d’argent sale, de barbouzes, d’officines et d’une révolte populaire à la traine et remplacée par une violence terroriste. C’est un récit foisonnant et complexe, sans complaisance, difficile à lâcher avec des personnages attachants ou agaçants, voire odieux. Benjamin Dierstein ne survole pas, il approfondit, rentre dans le détail et les coulisses, imagine ( pas toujours ) ce que relate la presse, cite des rapports de police, retranscrit des écoutes téléphoniques. Ce n’est pas du tout un documentaire, c’est assurément un roman avec des dialogues truculents et des personnages profondément humains. Un récit à la Ellroy !

Pour explorer la période qui va de mars 1978 à décembre 1979, Benjamin Dierstein a imaginé avec brio quelques personnages hauts en couleur, gentils et méchants à la fois. Et comme on est dans le polar, il y a trois flics tout frais sortis de l’école. L’inspectrice Jacquie Lienard et l’inspecteur Marco Paolini sont les bons élèves de leur promo de Cannes-Écluse, Christian Ragot est le dernier de la classe. Jacquie intègre les Renseignements Généraux, ce n’est pas le meilleur poste mais c’est une femme et c’est parfait pour écrire des rapports. Marco voulait le prestigieux 36, la Crim avec le commissaire Ottavioli mais il n’y avait pas de poste, il a eu l’Antigang de Broussard. Christian doit se contenter de la Mondaine, la police de bas étage. Dans un polar il faut des gangsters, Vauthier en est un, il est à Paris pour reprendre la main sur des boîtes de nuit. Vauthier s’y connait, il a fait dans les putes de luxe en Afrique en même temps qu’il travaillait pour le SDECE.

Polar et roman noir font bon ménage. L’époque s’y prête, 1978 et 1979 sont les années des diamants de l’encombrant Bokassa, Kadhafi est envahissant, Omar Bongo est sous surveillance. C’est la Françafrique. Dans l’hexagone, les polices traquent Mesrine, Action Directe et plus généralement tous les bolchos. Marco s’encanaille et devient membre du SAC ( normal il est corse ). Jacquie supervise l’infiltration d’un agent dans un groupe d’extrême gauche, cet agent c’est Gourv qu’elle va manipuler pour qu’il se renseigne sur les bolchos et accessoirement repérer et identifier Geronimo, le terroriste international que toutes les police recherchent. Il est sympa Gourv , aidé par la chance du candide, dépassé par les évènements comme il l’avait été en mai 1968.

Les évènements politico-truando-financiers ne manquent pas en 1978 – 1979. L’époque est bien choisie. Des PDG de grandes entreprises sont enlevés. Boulin se noie dans un marigot. Delon investit dans les boîtes de nuit. Il y a du travail pour toutes les polices et les services secrets. En Afrique la situation se dégrade, la gauche en profite. Giscard à force de chasser pourrait bien être chassé aux prochaines élections. Pendant ce temps la France est en crise. Chômage de masse, inflation, choc pétrolier, faillite de la sidérurgie. La France perd sa souveraineté économique. Le crime en profite, les politiques aussi. Ce roman est une tragédie, avec 3 actes.

Presque 800 pages, pas un instant de répit. La narration est alerte, rythmée par les airs disco de l’époque, remplie d’humour et de mots d’argot dans des dialogues qui sonnent juste. Pas le temps de s’ennuyer, un personnage réel arrive toujours à point nommé pour relancer l’attention. De multiples tableaux s’enchaînent, logiquement. Benjamin Dierstein sait interrompre un propos pour mieux le reprendre plus loin. Et on tourne les pages avec avidité.  Avec de l’attention, le lecteur ne se perd pas, il y a tellement d’indices et de détails pour s’y retrouver. Benjamin Dierstein sait raconter des histoires et L’Histoire.

Benjamin DIERSTEIN – Bleus, Blancs, Rouges . Parution le 19 février 2025, Éditions Flammarion. ISBN 9782080470751 .

Présentation éditeur : Printemps 1978 : les services français sont en alerte rouge face à la vague de terrorisme qui déferle sur l’Europe.
Marco Paolini et Jacquie Lienard, deux inspecteurs fraîchement sortis de l’école de police et que tout oppose, se retrouvent chargés de mettre la main sur un trafiquant d’armes formé par les Cubains et les Libyens et répondant au surnom de Geronimo. Traumatisé par la mort d’un collègue en mai 1968, le brigadier Jean-Louis Gourvennec participe à la traque en infiltrant un groupe gauchiste proche d’Action directe. Après des années d’exil en Afrique, le mercenaire Robert Vauthier revient en France pour régner sur la nuit parisienne avec l’appui des frères Zemour. Lui aussi croisera le chemin de Geronimo. Quatre destins qui vont traverser les années de plomb, les coups fourrés politiques et les secousses de la Françafrique.
Le premier tome d’une saga historique entre satire politique, roman noir et tragédie mondaine, dont les personnages secondaires ont pour nom Valéry Giscard d’Estaing, Pierre Goldman, Jacques Mesrine, Jean-Bedel Bokassa, Alain Delon, Tany Zampa ou Omar Bongo.

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Romain SLOCOMBE - Sadorski chez le docteur Satan

11 Février 2025 , Rédigé par mille et une histoires Publié dans #histoire des 19 et 20èmes siècles, #roman noir, #Polar historique

Romain SLOCOMBE - Sadorski chez le docteur Satan

Le lecteur retrouve Sadorski là où il l’avait laissé à la fin de « J’étais le collabo Sadorski » ( voir ICI ), le 27 octobre 1944 à la limite des départements de l’Eure et de Seine-et-Oise. Il a perdu sa valise remplie d’argent, sa femme Yvette ne va pas bien mais il s’en est sorti. Il s’en sort toujours, il n’est pas regardant sur la méthode. Il a aussi beaucoup de chance. Avec son passé de collabo, il lui faut retrouver d’autres collabos. Et il en croise et ils vont l’aider. L’ex inspecteur principal adjoint de la 3ème section des Renseignements Généraux à la Préfecture de Police de Paris a toujours eu de la chance.

Léon Sadorski revient en banlieue parisienne. Fin 1944 la guerre n’est pas finie, le front s’est éloigné, la résistance a changé de camp, la police française se réorganise. Sadorski a de la chance. La baraka ! Il redevient flic, et à la crim en plus, sous le nom de Jules Réquillard. Une moustache contribue à faire la différence. La police a une priorité, confondre Petiot, sinistre criminel désireux de se faire passer pour un résistant.

L’Histoire a rattrapé Sadorski, ou le contraire. Petiot, alias docteur Satan comme on l’appelle, est arrêté le 31 octobre 1944. Sadorski est dans le coup car il peut l’identifier, il l’a déjà croisé par le passé. Sadorski / Réquillard sait se rendre utile, il est calculateur, il sait se placer. Il a aussi de réels talents de flic. Il est en première ligne, sans trop se faire voir. Il contribue à reconstituer le passé criminel de Petiot. Il s’implique aussi dans la traque de la Cinquième Colonne, ces espions à la solde des nazis. Les temps ont changé, il faut séduire ceux qui dirigent désormais la France.

Sado n’a pas perdu la main, as de la filature, perspicacité, opiniâtreté, manipulateur et menteur. Il a profité de l’occupation allemande, il va profiter de l’enquête sur Petiot pour partir à la chasse du trésor amassé par ce docteur criminel. Il pourrait devenir riche, recommencer une nouvelle vie avec sa femme Yvette. Au passage s’il peut séduire l’épouse de son collègue Lavigne, ce sera un petit plus.

Sadorski est un anti-héros, un criminel comme il y en a eu beaucoup à cette époque où la clandestinité et le mensonge étaient la norme et favorisaient tous les bas instincts. Romain Slocombe continue de fouiller dans l’Histoire et entame une nouvelle trilogie, celle « des damnés ». L’Histoire est un véritable moteur, une source d’inspiration que l’auteur mêle habilement et de manière justement dosée dans une fiction de littérature noire très proche de la réalité. Le final de ce roman est grandiose, une course exceptionnelle, une course de tous les excès. Sadorski veut tout gagner. Il risque aussi de tout perdre.

Romain SLOCOMBE – Sadorski chez le docteur Satan . Parution le 26 septembre 2024 , Éditions Robert Laffont, collection « La Bête noire » . ISBN 9782221264157.

Présentation éditeur : Octobre 1944 : les polices gaulliste et communiste traquent Marcel Petiot, le tueur en série qui sous l'Occupation découpait et brûlait les malheureuses victimes de sa fausse filière d'évasion de Juifs.
Ces mêmes polices recherchent activement Sadorski, flic collabo en fuite, qui pour leur échapper s'est joint à des Français pronazis parachutés en territoire libéré pour y commettre des attentats. Lâché par ses complices, il trouve asile chez un collègue, brillant jeune enquêteur de la PJ et marié à une femme ravissante...
La fatalité veut que Sadorski et Petiot se rencontrent. Le " génie du Mal " va inspirer à l'inspecteur déchu une de ses plus monstrueuses entourloupes ; tandis que " Sado ", lui, compte bien mettre la main sur le trésor caché du docteur Satan.

Romain SLOCOMBE, bibliographie série Sadorski : voir ICI  

 

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